jeudi 5 décembre 2019

LA CRÈME DE LA CRÈME À CHANTILLY


Tout ça a commencé comme une attaque de train dans un western. Nous étions en 1848. La révolution qui bouillait à gros bouillons à Paris, déborda jusqu’à la gare d’Enghien. Les émeutiers qui réclamaient la république, réclamèrent en passant la recette du jour. Le chef de gare, un certain Antoine Bisetzky, aussi droit dans ses bottines que le sheriff  Will Kane dans les siennes, décida d’agir avec la discrétion d’un sioux en mocassins. Il planqua le magot, pipota les chercheurs d’or qui repartirent les mains vides.
Bisetzky, chef de gare à vous!

Flûte, alors!

C’est que, pipoter, Bisetzky savait faire. Enfant, il avait été virtuose de flûte traversière et en 1832 – il avait quinze ans - dans la Revue Musicale, on reconnaissait qu’il avait « bien mérité le second prix qui lui a été accordé bien qu’il sembla  qu’il y avait quelque injustice à le lui faire partager avec M. Bannières dont le jeu a moins de netteté et le son moins de puissance ». Mais voilà, Bisetzky avait une petite santé et il lui fallut renoncer à souffler dans l’embouchure.  Il s’en trouva mieux inspiré que Boris Vian à qui, quelques cent ans et des poussières plus tard, on préconisa aussi d’arrêter de souffler dans sa trompinette. Boris n’en fit qu’à sa tête jusqu’à ce que son cœur lâche. Tony écouta la Faculté et se retrouva bombardé en 1859, chef de la toute nouvelle gare de Chantilly qui venait d’ouvrir.

La tchou-tchou set, ancêtre de la jet set
Outre les 3000 francs d’appointements, le poste brillait des mille feux de la jet set – ou devrait-on dire de la tchou-tchou set – qui n’en finissait pas de trainer ses guêtres et ses corsets à Chantilly pour y pratiquer le plein air à la page, la chasse à courre et les courses de chevaux.
Or, le chef de gare musicien qui, nous l’avons vu, avait un certain à-propos, fut une fois encore l’homme de la situation. Bien mis et bien élevé, il fraya bientôt avec le Tout-Paris qui se déversait sur son quai. Et comme les muses n’avaient pas été vachardes avec lui, il les charma, non plus avec sa flûte, mais avec ses crayons. Son talent de dessinateur s’épanouit dans l’aimable portrait-charge, discipline qui nécessitait un sérieux doigté. Pas commode d’égratigner poliment. Encore moins d’arriver à se faire prier par les égratignés eux-mêmes de faire publier les dites caricatures. Or, c’est ce qu’il advint en 1866. L’une après l’autre, elles paraissent le 10 du mois.  

De la bibliothèque d’un veneur bibliophile
Ces douze portraits-charge, nous les découvrons en ouvrant le grand album dans lequel elles ont été montées sur onglet. Ils sont farcis de tant de d’allusions et de détails croustillants que nous ne pourrons pas ici les décrire à l’envi. Nous devrons nous contenter d’en brosser les grandes lignes.
Les plats de l’album ont été frappés en leur centre des armes du marquis de Vatimesnil, maître d’équipage normand et  bibliophile entreprenant qui, on le sait, posséda une belle bibliothèque de chasse. Ce n’est pas un hasard s’il collectionna ces caricatures et qu’il les fit relier en album puisqu’on y dénombre plus d’un tiers de chasseurs et non des moindres, ainsi qu’une belle poignée de turfistes distingués.

Taïauts rigolos
Chez les veneurs, citons le vicomte de la Poëze, à la ville administrateur du canal du Midi versé dans le bizness des chemins de fer, à la campagne veneur enragé. On connait une saisissante paire d’aquarelles figurant Raoul et son frère René, chassant de belle façon le sanglier et le chevreuil. Pour sa part, Bisetzky le représente caracolant sur un lièvre mahousse, le cigare fermement coincé entre les dents. Au loin, un cerf au bat-l’eau sonne de la trompe. Le caricaturiste a croqué une autre pointure de la vénerie, le comte d’Osmond, la main gauche – ou ce qu’il en reste - enfoncée dans la poche. A l’âge de 21 ans, le jeune veneur qui venait de monter un petit équipage pour courre cerf et daim chez ses parents à Pontchartrain, perdit sa main en chassant mais non pas son amour pour Diane qu’il continua à courtiser sa vie durant, au point même de lui consacrer plusieurs livres. Julie avait eu sa Guirlande. Diane eut, grâce à lui, ses Hommes des bois. Or, l’écrivain était aussi musicien à ses heures et c’est en Orphée cynégétique que Bisetzky s’est amusé à le peindre. Une trompe à la bouche, une mandoline dans le dos, Osmond vient visiblement de sonner le rappel des chiens… du sanglier qui forment pour l’occasion une ronde autour de lui, lassés sans doute de jouer aux chasseurs et aux chassés. "Promenons-nous dans les bois, pendant que le loup y est pas"!



Un Hédouville pour la ville
Mais c’est peut-être le nom de Hédouville qui devrait passer en boucle dans les haut-parleurs de la gare de Chantilly. Le garçon, veneur à 110%, fut le fondateur en 1850 de la Société de chasse de Chantilly qu’il présida deux ans. S’y retrouvèrent, les meilleurs sportsmen de l’époque dont le comte de Berteux et le vicomte de la Poëze, tous deux figurant également dans l’album. Le Figaro du 24 février 1867 qui annonce que « l'Album comique du monde sportif entrepris par le fin crayon de M. Bizetsky, continue son succès », considère que son « M. de Hédouville, en héron, est fort réussi. ». Pourquoi, me direz-vous, Bisetzky a-t-il choisi de le figurer en héron lui qui était veneur ? Et bien tout simplement parce que l’homme était aussi chasseur à tir et qu’il été connu pour être fort grand et fort maigre. « D'après ses contemporains, lit-on dans sa notice nécrologique parue dans Le sport, le comte de Hédouville rendait, sur le plan physique, la silhouette exacte de Don Quichotte, personnage en qui il se déguisait lors des bals masqués. « La forêt de Chantilly n'avait pas un buisson qu'il n'ait fouillé derrière les chiens de sa vénerie » y lisait-on plus loin. Hédouville fut monta à cheval jusqu'à sa mort, s’amusant à constater : « Tous mes amis qui ont cessé de monter à cheval sont morts depuis vingt ans. Le cheval conserve ». Cette vie d’extérieur ne l’empêcha pas d’être homme de salon, bienfaiteur à ses heures, co-fondateur du Jockey club et démiurge des courses. C’est à lui que l’on doit en grande partie l’hippodrome de Chantilly.






Piliers d’hippodrome
Vers 1833 en effet, « une société de jeunes sportsmen qui entouraient les princes de la famille d'Orléans se rendait parfois à Chantilly pour y courir le cerf. Un soir, MM. de Plaisance, de Wagram, de Labanoff et d'Hédouville, au retour d'une randonnée à travers la forêt, convinrent, parvenus au bord de la pelouse, de lancer leurs chevaux jusqu'au château, afin d'éprouver, après les fatigues de la journée leurs qualités de fond et de vitesse. Lorsque les cavaliers se retournèrent pour embrasser l'espace qu'ils venaient de parcourir si tacitement :
— Quel magnifique hippodrome l'on ferait sur ce vaste emplacement, dont le sol semble rebondir! dit le comte de Hédouville.
— Excellente idée ! répartit le prince Labanoff.
A quelque temps de là, les courses de Chantilly furent instituées qui attirèrent le Paris chic jusqu’en banlieue. Bisetzky piqua dans le tas quelques figures à croquer : Achille Fould, financier et ministre, qui forma avec son frère un binôme de premier rang, alignant en 1867, pas moins de seize chevaux qui leur rapportèrent la coquette somme de 174 000 fr. Ils furent cependant largement devancés par Lagrange, comte et centaure qui, la même année, présenta quarante et un chevaux et remporta 598 000 francs. Rien de plus normal pour ce sportsman ayant à son actif deux chevaux vainqueurs au Derby d'Epsom. Bisetzky fit également les honneurs de sa galerie de portraits-charge au duc d’Hamilton. Il n’hésita pas à faire chevaucher au gros garçon un éléphant que nous surprenons au moment où , après l’avoir bien secouée de la trompe, fait exploser une bouteille de champagne à la manière des vainqueurs de courses automobiles. 
Bien que fils du onzième duc de Hamilton et de
Marie-Amélie de Bade, petite fille adoptive de Napoléon Bonaparte, bien qu’ancien élève d’Eton et de Christ Church à Oxford, il « avait, dit-on, une franchise de langage frôlant l'impolitesse ». Et une largesse frôlant la bêtise. Mais, grâce aux dieux, à Chiron et Pégase, en 1867, alors qu’il était au bord de la ruine financière, son cheval Cortolvin, contre toute attente, remporta le grand National. Outre des gains substantiels, il prit quelques 16 000 £ aux bookmakers, rétablissant ainsi sa fortune.



Ici, il y a gâchis
Léon de Berteux qui était– on l’a vu – veneur, fut également turfiste heureux. Etre le beau-frère du comte Fernand Foy, le fondateur du haras de Barbeville aidait sans doute la chance, néanmoins, avec  Cambyse, il gagna tout de même, en casaque verte et toque rouge, deux prix de renom, le Prix d’Ispahan et le Prix de la Neva, futur… Prix Berteux. Étrangement, Bisetzky décida de représenter ce sportsman accompli, le cigare à la bouche, revêtu des atours chatoyants du faisan, debout devant un piano, un paquet de cartes à jouer épars sur une table proche, des bouteilles de champagne au frais et à ses pieds. On distingue bien en arrière-plan du dessin des chevaux de courses lancés au plein galop, mais pour Bisetzky, ici, il y a visiblement gâchis. Il écrit : « M. de Berteux est un excellent musicien ; assis devant un piano, il charme ses auditeurs, et, si, au lieu d’être un homme du monde, indépendant par sa fortune, il était un artiste lancé dans les concerts, il aurait une réputation distinguée. » Voilà qui est dit. La nostalgie musicale prend de temps à autres notre trublion de gare qui croque alors ses amis artistes, Henri Fritsch, gros nounours moustachu, professeur de piano de Senlis ou  Thomas Couture, cet autre Senlisien que la Décadence des Romains avait rendu célèbre.


Du rail à la fibre
Ces douze portraits-charges vaudraient que l’on s’y arrête bien plus longtemps que nous venons de le faire. Las ! Le XXIe siècle n’est pas le bon siècle pour s’y complaire : du rail, nous sommes passés à la fibre et la vitesse, de débonnaire, elle a viré éclair. Et dire qu’en haut de chacune de ces caricatures, des armoiries fantaisistes attendent qu’on les détaille. Elles sont piquantes. N’en citons qu’une avant de vous laisser repartir vaquer à vos occupations.
Ce sont celles du comte de Berteux. Le blason familial devrait être écartelé, aux 1 et 4 coupé-denché de gueules sur argent ; aux 2 et 3 d'argent, au chevron d'azur, accompagné de trois lis au naturel, tigés et feuillés de sinople, flanqué à l’occasion de deux lions qui le soutiennent. Or, Bisetzky a renvoyé les lions dans leur savane, les remplaçant par deux lièvres, l’un chasseur à tir, l’autre chasseur à courre qui, parfaitement irrévérencieux, tapent le carton sur l’assise du blason. En dessous, une devise que Bisetzky  a librement interprétée. Le célèbre « fortes fortuna juvat » - « la fortune sourit aux audacieux » - est devenue « la fortune sourit aux joueurs »… « La fortune sourit aux joueurs » ! Nous dirions même plus, en refermant l’album,  « la fortune sourit aux joueurs de flûte traversière ».

le centaure Lagrange, un de ceux dont nous n'avons pas eu la place de parler!


L'ALBUM QUI NOUS A PERMIS D’ÉCRIRE CETTE LORGNETTE EST EN VENTE À LA LIBRAIRIE:

Antoine Bisetzky
Album-comique – Les Charges-Portraits par Bisetzky. Reproduction d’aquarelle avec notices.
Chantilly, chez  M. Bisetzky. 1ère année. 1866
In-folio, élégante percaline rouge, plats frappés en  leur centre  des armes du marquis de Vatimesnil.
Rarissime album de caricatures bien complet des 12 portraits-charges coloriées à la main par le foisonnant Bisetzky dont la carrière fut éclair. Bel état de conservation. Ne manque à l’ensemble que deux notices.
Un seul autre exemplaire, très incomplet,  est référencé dans les bibliothèques. Il ne comprend que 9 planches et une seule notice. A noter les coloris différents qui confortent dans l’idée que  chaque album a reçu des soins particuliers. L’ordre des planches n’est pas tout à fait établi. Si l’on se réfère au Figaro
du 24 février 1867, la planche Hédouville doit être placée en quatrième position. « L'album comique du monde sportif (est-ce bien le mot?) entrepris par le fin crayon de M. Bizetsky, continue son succès. Il vient de publier un M. de Hédouville, en héron, qui est fort réussi.»
  infos et commande: villabrowna[at]free.fr
 

mercredi 20 novembre 2019

UN TRAITÉ DE CHIRURGIE, EN SA PERFECTION & ÉCRIT À LA MAIN!


Nous sommes en 1711. Les bagarres entre barbiers et chirurgiens sont en train de s’estomper.  Pour comprendre les rivalités qui les opposèrent jusqu’alors, il est bon de comprendre que l’exercice de la main sur le corps était de la compétence non de la médecine mais de la chirurgie, que l’art de raser et de faire le poil n’en était pas exclu et que cette spécialité était aussi… celle des barbiers. 



Bien que ça ne rue plus dans les brancards, il faudra cependant patienter jusqu’à la déclaration du 23 avril 1743, pour que la barberie soit enfin totalement séparée de la chirurgie.
Si nous insistons sur ces affrontements entre coupe-chou et scalpel dignes de ceux des Jets et des Sharks, c’est que le manuscrit que nous vous proposons s’ouvre sur un dessin à la plume qui figure un blason à trois boîtes d'onguent d'or, à la fleur de lys de même en cœur. Or, selon les sources, ces armoiries sont attribuées soit aux chirurgiens… soit chirurgiens-barbiers.
Ce crêpage de blason est-il, après tout, aussi important qu’il en a l’air ? Ben oui, quand même. L’auteur du manuscrit, dont on ne connait pas l’identité, cite en références, parmi d’autres -  Hippocrate et Gallien, Guy de Chauliac et  son célèbre Guidon – petit nom donné à sa Chirurgia Magna publiée en 1363,  mais aussi Ambroise Paré
 
Or, Ambroise Paré, tiens, justement, ne commença pas par être chirurgien. Il fut prosecteur d’un certain Sylvius. Le plus souvent, à l’époque, les professeurs des cours d’anatomie de la Faculté péroraient en chaire, postillonnant sur leurs prosecteurs à qui ils laissaient le soin de mettre les mains dans le cambouis. Or, ces prosecteurs se recrutaient habituellement chez les barbiers qui ne craignaient pas de maculer leurs tabliers en disséquant bonshommes et bonnes femmes silencieusement consentants. Ceci faisant, ils donnaient matière à la dialectique du maitre et l’esclave que Hegel formulerait au début du XIXe s. : depuis lors Sylvius n’a-t-il pas en effet sombré dans les oubliettes tandis que Paré continue à se tailler la part du lion au panthéon des bistouriteurs de génie ?
Pour en revenir à notre élégant manuscrit, – parce que nous sommes foncièrement imaginatifs -nous crevons d’envie, pour la beauté de l’extrapolation, de défendre l’idée qu’il fut composé par un étudiant en chirurgie, légèrement courtisan sur les bords. En effet, si l’on veut bien considérer que le chiffre joliment dessiné en fin de volume formé des lettres G. et M. cherchait à rendre hommage à George Mareschal, alors Premier chirurgien du roi Louis XIV, on pourra considérer ce Nouveau traité de Chirurgie en sa perfection, comme un ravissant fayotage.
Orphelin à treize ans, de son père manchot, Mareschal fut recueilli par son tuteur, Paul Knopf qui - nous y revoilà ! - fut chirurgien-barbier. Il fit de son pupille son garçon de salle. De fil en aiguille à suturer, le jeune Georges monta à Paris, apprit l’anatomie en travaillant bénévolement à l’hôpital de la Charité, avant de finir par charcuter, avec une grande réussite, Louis XIV, Racine, Saint Simon, le maréchal de Villars et tous les héros de la cour affligés de bobos.
Tous ces people versaillais s’en sont allés. Demeure le fayot inconnu et son délicieux Traité de chirurgie en sa perfection. 
 © villa browna

LE MANUSCRIT QUI NOUS A PERMIS D’ÉCRIRE CETTE LORGNETTE:
Manuscrit – Nouveau traité de Chirurgie en sa perfection
Sans lieu, 1711. In-4 plein veau, dos à nerfs orné. Frottements et un petit manque en bas du dos.
Titre illustré d’un blason, 349 pp., un ornement au chiffre G.M., 6 pages de table. Galeries de vers aux premières et dernières pages n’altérant pas la lecture. 3 déchirures sans manque restaurées.
Manuscrit de chirurgie rédigé d’une écriture particulièrement lisible. Le traité à proprement dit est  précédé de questions-réponses définissant le métier de chirurgien.
En vente

Nous écrire villabrowna[at]free.fr 

 

vendredi 18 octobre 2019

RÉCITS, RACONTARS & BAVARDAGES DU COMMANDANT GARNIER


Curieux bonhomme que ce commandant Pierre Garnier qui, rentré en France, laissa son cœur billebauder en Afrique du nord et ses yeux fureter dans toutes les bibliothèques qui avaient l’heur de conserver traités et revues, correspondances ou bizarreries cynégétiques. 


Sorti de Polytechnique en 1832, il fit une partie de sa carrière dans l’Artillerie en Algérie, en revint décoré de l’amitié de Bombonnel et de Jules Gérard, les deux lanceurs de la mode littéraire des chasseurs de fauves.
 « Semblable à Nemrod, écrivit un de ses amis journalistes, le commandant Garnier était un fort chasseur devant l’Éternel, c’était en même temps un écrivain cynégétique des plus distingués. Chaque sorte de gibier lui était familière, aussi a-t-il pratiqué toutes les chasses possibles en France et en Algérie et mettait-il largement ses connaissances pratiques au service de ses confrères en saint Hubert. » Et de fait, on lui doit un petit livre charmant et recherché sur la chasse à l’alouette, mais aussi des ouvrages sur chevreuil, le sanglier, le renard, le blaireau le lapin, j’en passe et des meilleurs. 


Or, un manuscrit du commandant Garnier intitulé Histoire naturelle et chasse – Récits, racontars, bavardages, souvenirs et notes vient de surgir à la librairie, sous forme de trois cahiers d’écolier reliés en toile écrue et noircis d’une écriture fort lisible. Ils n’ont visiblement jamais été publiés et restent jusqu’à aujourd’hui inédits. Rédigés entre le 10 juillet 1892 et le 28 janvier 1893, il n’est pas farfelu de penser que ce fut l’un des derniers, si ce n’est le dernier écrit de l’auteur qui, né en 1811, avait 81 ans au moment de sa rédaction. Il allait mourir en 1899.
                En grande partie consacré au gibier et à la domesticité des animaux sauvages, on trouve dans ce manuscrit, de très nombreuses anecdotes sorties de ses lectures et de son expérience. On y saute, allégrement, des attelages de cerfs à la chasse aux girafes, de la description d’un enfant-crocodile à la cuisson du hérisson, en passant par la pêche d’un esturgeon mahousse, la chasse à l’aide du léopard, l’évocation du dernier lynx tué en Allemagne, des considérations sur la rage, le portrait de deux bassets valets de cuisine, des racontars sur le loup, &c. De très nombreuses considérations sur la captivité des animaux sauvages à plume et à poil et sur leur comportement en détention ne manquent pas d’intérêt.



                Mais ce qui est le plus émouvant ici, c’est, comme nous l’apprend une mention sur le troisième cahier, que ces miscellanées furent expressément écrits pour Albert Garnier, le petit frère de Pierre. Au détour d’une page du Journal des chasseurs, on apprend de la plume même du commandant, que « près de deux lustres » les séparaient.  Pourtant, les deux  frères-chasseurs s’entendaient à merveille même si, c’est encore le Journal des chasseurs qui vend la mèche, ils se chamaillaient un peu au sujet de la chasse aux alouettes. Albert apparait, ici et là, en filigrane, dans les articles que Pierre donna aux journaux de plein air.  Le puiné ne put s’empêcher, par exemple, de taquiner la flemme fraternelle de son cadet : « Mon frère, qui, pendant bien des années, a chassé le lièvre et qui ne laissait courre que ce gentil quadrupède à ses sept ou huit bons chiens, n'a pas encore eu le courage de coucher par écrit les remarquables et curieux incidents de chasse dont il a été témoin ; je le regrette d'autant plus qu'il était excellent observateur. Je parle ici au passé; car il ne pratique plus et m’a cédé sa petite meute. » 
                On retrouve le commandant Garnier tout entier dans ce soupir. On a beau chasser l’écrivain-chasseur, il revient toujours au petit trot, portant cartouchière et encrier. © villa browna

LE MANUSCRIT QUI NOUS A PERMIS D'ÉCRIRE CETTE LORGNETTE:
Manuscrit - Commandant Garnier
Histoire naturelle et chasse – Récits, racontars, bavardages, souvenirs et notes.
Auxonne, trois cahiers d’écolier reliés en toile écrue. 1892-1893
Les trois cahiers sont  noircis d’une écriture serrée et lisible.
Miscellanées de chasse et d’histoire naturelle par un des aimables auteurs- journalistes cynégétiques de la seconde moitié du XIXe s.  

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