lundi 27 avril 2020

LE SEIZIÈME GUILLOTINÉ




La description des deux documents, reliés en un volume, qui ont permis la rédaction de cette lorgnette est à retrouver en fin de lorgnette.


Une bouffée d’air d’autrefois s’échappe de cette sobre percaline bleue dans laquelle ont été réunis deux témoignages du procès, de la condamnation et de l’exécution du roi Louis XVI. L’un est une grande plaquette in-4 de 16 pages recensant les députés qui prirent part au votre qui allait décider du sort du roi, l’autre est, dans un format in-12, le récit, station après station du chemin de croix royal.


La librairie, métier à risque
Ce récit, ce sont deux libraires qui se risquèrent, en 1793, à l’imprimer et le diffuser. Le risque était réel, puisqu’ils furent guillotinés en 1794, précisément pour l’avoir fait. N’ayant vu dans ce projet, un peu naïvement, qu’une aubaine commerciale, se croyant protégés par une loi de la presse bien incertaine en vérité, ils avaient sereinement proposer à la vente leur compilation. Elle comprenait la liste comparative des cinq appels nominaux faits sur le procès et le jugement de Louis XVI, la déclaration de Louis à la Convention, le discours prononcé à la barre par Raymond de Sèze, le résultat du scrutin sur la peine à infliger à Louis, des observations de ses défenseurs, Tronchet et Lamoignon Malesherbes, le testament de Louis XVI et enfin la relation des vingt-quatre heures qui précédèrent sa mort.


Le détail qui tue
Ce faisant, c’est une épée de Damoclès qu’ils suspendaient au-dessus de leur tête ou, pour être dans le vent du boulet, le couperet qu’ils rapprochaient de leur cou. En ne métamorphosant pas la princesse Elisabeth en citoyenne, en laissant couler des larmes sur les joues des soldats qui escortèrent la charrette du roi, ils signèrent leur arrêt de mort. Le plus surréaliste dans tout cela restant que ce ne furent pas les larmes qui fâchèrent les censeurs, mais la mention même de présence militaire : on ne voulait pas, en haut lieu révolutionnaire, qu’on put se figurer que la foule avait songé, ne serait-ce qu’un seul instant, à sauver le citoyen Capet et que c’était pour cela que l’on avait mis en rang les soldats.






Autodafé monoéditorial
Là où, durant le procès, Thomas Levigneur se défendit mal, Jacques-François Froullé répondit avec logique et sérénité. Il aurait pu économiser sa salive et sa sueur. Leur compte était bon, avant même d’avoir été posé. Les deux hommes avaient pourtant bien mené leur barque jusque-là, commençant petit, avançant pas à pas. Froullé, un ancien colporteur, reçu libraire en 1771, devint en 1791 imprimeur. Sa boutique, quai des Grands Augustins, fut mise sous séquestre, ses biens restitués à son gendre et successeur, Nicolas Moutardier, mais seulement en 1795. Levigneur, libraire à Paris, était quant à lui resté attaché à sa Normandie natale comme le prouve le séquestre de ses biens qui eut lieu à Rouen. A 60 et 47 ans, les deux infortunés compères, traduits devant le tribunal révolutionnaire pour avoir « cherché à perpétuer l’amour de la royauté par les regrets sur le sort du tyran », furent condamnés à mort le 13 ventôse, autrement dit le 3 mars 1794. Le juge Dobsent qui aimait les choses bien faites ordonna de surcroît « que l’ouvrage sus-énoncé [soit] brûlé au pied de l’échafaud par l’exécuteur des jugements criminels. »


Kirk, Spock et la téléportation historique
Seuls les quelques volumes déjà vendus échappèrent au feu de joie. Et c’est une veine, car il suffit de lire une page au hasard pour être illico propulsé dans le Paris de l’hiver 1793. Il n’y a en effet rien entre nous et ces funestes journées de janvier : ni érudition d’historien, ni vernis temporel, ni arrangement d’écrivain. Les faits sont là, écrits, décrits, listés au jour le jour. C’est un peu comme si on entrait avec le capitaine Kirk et monsieur Spock dans la cabine de téléportation de l’Enterprise et qu’on en ressortait un instant plus tard, le 15 janvier 1793, en pleine Assemblée, au moment où commence le premier appel nominal. C’est comme si les petites affaires que Kirk et Spock nous avaient laissé le temps de musarder une semaine dans les parages, exactement jusqu’au 21 janvier, date du baisser de rideau. 






Lèze-Nation
Parmi les pages les plus troublantes que l’on y trouve, il faut compter les « déclarations et observations faites par plusieurs députés aux appels nominaux » qu’une note de bas de page précise être « signées, déposées à l’instant sur le bureau des secrétaires ; et celles qui ne sont pas signées, prononcées à la tribune de vive voix, par chaque député, lors de son appel ». A la première question qui leur avait été posée ̶ « Louis est-il coupable de crime de lèze-Nation, et de conspiration contre la sureté de l’Etat ? » ̶ les réponses furent diverses. On recensa de nombreux « oui » laconiques, d’autres argumentés, des « p’tête ben qu’oui, p’tête ben qu’non », des « c’est à voir », des « je m’en lave les mains ». Il y eut aussi des « non », d’autant plus courageux que la réponse était faite au vu et au su de tous. Le recours au bulletin secret aurait sans doute donné un autre résultat.





Ceux qui se sont brûlé la cervelle

Dans cet ouvrage comme dans la plaquette qui le suit, on peut détailler un tableau des votes des Députés de la Convention nationale. Si celui de l’ouvrage de Levigneur et Froullé est plus précis quant aux réponses apportées à la question « quelle peine sera infligée à Louis ? », celui de la plaquette renferme un supplément d’âme. Les impeccables pliures de la couverture bleue indiquent qu’elle fut mise en poche. Et puis, surtout, les commentaires ajoutés à l’encre noire par une main sûre, vingt-trois ans après les faits, animent le document. En face de certains noms, ont été tracées les mentions « mort » ou « sorti en 1816 ». Et encore : au bout de la ligne concernant Boissy d’Anglas, a été écrit « Pair de France », au bout de celle d’Alquier « ambassadeur à Rome ». Point d'exclamation et trois petits points semblent bel et bien sous-entendus.
Cette main anonyme est clairement royaliste, comme le sont à l’évidence ceux qui ont imprimé la plaquette. Nous en prenons pour première preuve, l’ajout d’une colonne d’observation qui fait état des destinées de certains des régicides. On ouvre le bal avec Ferraud [Féraud], assassiné dans la Convention le 21 mai 1795 par les insurgés du 1er Prairial. Sa tête coupée fut mise au bout d'une pique et présentée à Théodore Vernier, président de la Convention, et à l’insaisissable Boissy d'Anglas qui la salua. Suivent les condamnés à la guillotine du 17 juin 1795. Beaucoup de ceux-là tentèrent le suicide à la Romaine sans toujours y parvenir. Viennent ensuite les fusillés du 10 septembre 1796 au camp de Grenelle, châtiés pour avoir participé à la conjuration des Egaux. Et puis, sont listés ceux qui se sont « brûlé la cervelle » et les quelques-uns qui firent les intéressants comme Conhey, « emprisonné à Melun, [qui se brisa] la tête contre les murs de sa prison ».





Je pardonne de tout mon cœur
Lors de la première Restauration, la fureur de la révolution fut relativement gommée par une amnésie encouragée pre-mortem par Louis XVI qui avait écrit dans son testament : « Je pardonne de tout mon cœur à ceux qui se sont faits mes ennemis sans que je leur en aie donné aucun sujet ». Ce statu quo fut ébranlé par les Cent-jours. Et si le 12 janvier 1816, une loi générale d’amnistie fut accordée par Louis XVIII, à« tous ceux qui, directement ou indirectement, ont pris part à la rébellion et à l’usurpation de Napoléon Bonaparte », elle en exclut les membres de la famille Bonaparte et « ceux des régicides qui, au mépris d’une clémence presque sans bornes, ont voté pour l’acte additionnel ou accepté des fonctions ou emplois de l’usurpateur, et qui par-là se sont déclarés ennemis irréconciliables de la France et du Gouvernement légitime […] ». Tous ceux-là furent sommés de quitter la France avant un mois, perdant au passage leurs droits et biens. « Chateaubriand lui- même, si prudent en 1815, écrit Emmanuel Fureix, considéra en 1816 le testament de Louis XVI comme invalidé par l’histoire récente : « Leur propre fureur [des anciens régicides] a effacé la clause du testament de Louis XVI, qui les mettait à l’abri : la justice a repris ses droits, et le crime a cessé d’être inviolable ». « En vain le testament de Louis XVI [assurait] la grâce aux coupables ; un esprit de vertige les saisit ; ils [déchirèrent] eux-mêmes le testament ; ils ne [voulurent] plus être sauvés ». C’est tout cela qui est contenu dans la mention laconique « sorti en 1816 ».


La lecture de ces deux documents est salutaire. Outre l’émotion qu’elle procure, elle ouvre une porte d’entrée sur la Terreur-comme-si-on-y-était. C’est aussi un aiguillon qui nous pousse à nous intéresser non plus seulement aux dates et aux faits mais aux acteurs de cette révolution qu’on envisage trop souvent comme un tout, oubliant, c’est bien commode, qu’elle fut le joujou d’individualités dont les noms, les choix, les destins révélés donnent chair ce chapitre de l’Histoire de France trop souvent intellectualisé. ©texte et illustration villa browna



Le recueil qui a permis la rédaction de cette lorgnette est constitué de:
Liste comparative des cinq appels nominaux faits dans les séances des 15, 16, 17, 18 et 19 janvier 1793, sur le procès et le jugement de Louis XVI, avec les déclarations que les députés ont faites à chacune des séances, par ordre de numéros ; suivie de la déclaration de Louis à la Convention, par laquelle il interjette appel à la Nation du jugement porté contre lui, et du discours prononcé à la barre par Desèze ; immédiatement après, le résultat du scrutin sur la peine à infliger à Louis ; des observations de Tronchet et Lamoignon Malesherbes, ses défenseurs ; du testament de Louis XVI ; et enfin de la relation des vingt-quatre heures qui ont précédé sa mort
Paris, Levigneur et Froullé, 1793, VIII-56-109 p.
In-12, sous brochage d’attente brun.
Exemplaire non rogné et bien blanc.

Suivi de
Tableau des votes des députés de la convention nationale, dans le procès de Louis XVI
Londres et les principales villes de l'Europe, chez tous les marchands de nouveautés, (s. d.)
In-4, couvertures bleues conservées. Pliure en croix sui suggère que la plaquette pouvait être transporté, pliée en deux, dans la poche. 16 pp.
Le tableau à proprement dit est précédé du titre : «Tableau des votes des Députés de la Convention nationale, dans le procès fait en janvier 1793, à l’infortuné Louis XVI, Roi de, qui a été condamné à être décapité le 20 du même mois, et exécuté le 21 dudit, sur la place Louis XV, dite de la Révolution». Ces mentions manuscrites ont été ajoutées à l’encre noire.infos et commande



Biblio

Edmond Biré, Les défenseurs de Louis XVI
Alain de Dieuleveult, Mort des Conventionnels. In: Annales historiques de la Révolution française, n°251, 1983. pp. 157-166.
Annie Duprat, Un réseau de libraires royalistes à Paris sous la Terreur (I). In: Annales historiques de la Révolution française,n°321, 2000. pp. 45-68.
Emmanuel Fureix, Regards sur le(s) régicide(s), 1814-1830, Siècles, 23 | 2006, 31-45.