Pas folle la Berjanette qui mit tous les atouts de son côté au moment de faire paraitre en pleines années 30, une élégante plaquette qui s’inscrit parmi les textes les plus délicieusement gastronomico-féministe de l’époque, sorte de Maximes de La Rochefoucauld expresses assaisonnées au féminin.
Les
belles et la bouffe ?
Les belles et la bouffe ? Ça ne semble
pas aller de pair et pourtant, l’auteur nous prouve le contraire à chaque page.
Pour dessiner les belles, ce n’est pas un hasard si Berjanette a fait appel à Léon
Benigni. Il est l’un des plus fameux illustrateurs de la mode de l’époque, le
pinceau de Jean Patou. Harper’s Bazaar,
Modes et Travaux, Vogue se l’arrachent. Fémina lui confie ses couvertures. Autant
dire qu’en matière de jolies filles, il en connait un rayon ! Pour Berjanette,
il met en scène la libido art déco de gourmets et gourmettes attisée par les
joies de la table.
Attablée, elle est imbattable
Pour le texte, Berjanette se fait confiance et elle a raison. Attablée,
elle est imbattable : n’a-t-elle pas épousé à Londres, en 1912, Austin de Croze, le pape de la cuisine régionaliste, l’ami de Rouff et de Curnonsky ?
La comtesse de Croze, deuxième du nom puisque c’est le second mariage de son
gastronome de mari, est née Jeanne Bergouignan. Elle est en littérature de J.A.
Berjane, nom sous lequel elle écrit et donne ses conférences ici, là et surtout en
Angleterre. En 1913, ses causeries londoniennes porteront – tiens donc,
monsieur est passé par là – sur le tourisme et la gastronomie régionale en France.
Suivies de dégustations et de ventes de spécialités françaises, on peut imaginer
combien elles furent courues par les pique-assiettes et les autres. L’idée fera
son chemin puisque, encore en 1931, on pouvait lire dans le Semainier de
l'Illustration : « Le goûter régional est en train de conquérir Paris » animé
par le comte de Croze, admirablement secondé avec grâce et savoir par son
épouse. Et d’organiser tour à tour des goûters normand, bourguignon, auvergnat, quercynois,
bordelais, angevin et colonial !
Femme de lettres et de fourchette
Or, Berjanette s’affranchit de Croze au moment d’attaquer Les femmes, la table et l'amour. C’est
en femme de lettres et de fourchette qu’elle écrit. Elle se débarrasse dès les
premières pages du chapitre consacré au « Chœur des misogynes » qu’elle
poivre et sale à la diable. Elle y prend une grosse voix, remonte ses bretelles
et lance dans un nuage de fumée de cigare des sentences de l’acabit de : « cauchemar
d’un gastronome à la veille de faire un repas délectable : une voisine qui
parlera trop fort et ne mangera pas assez ; la vieille belle qui réparera
ses lézardes au-dessus des assiettes ; la jeune brune qui, dès le potage,
fumera sans arrêt, parce que « ça lui va bien », etc. Sans nous
laisser reprendre notre souffle, elle fait répondre « Du tac au tac le chœur
des jolies » qui se dévoilent alors sacrément percutantes.
Vins applaudis, cocktails honnis et Benigni
Si ce périlleux exercice est réussi, c’est aussi parce que Benigni a parfaitement compris ce que Berjanette attendait de lui. Un homme et une femme à table, ce sont autant d’histoires de cœur qu’on fait sauter comme des crêpes à la Chandeleur. Quand elle affirme que « Le champagne est le malicieux corrupteur des jeunes filles », l’illustrateur ne moufte pas et dessine une drôlesse au cheveu court et cranté, la tête renversée en arrière regardant le monde de dessous une coupe dont les bulles s’échappent. Avec humour, il figure aussi « l’agonie des vins précieux oubliés », en campant cuisinière et majordome s’enfilant cul-sec les fonds de verres laissés pour compte. D’un trait tiré en noir rehaussé d’une seule teinte pâle beige abricot, Benigni fait des merveilles. Seule la divine cambrure de son barman agitant un shaker plein de promesses, accentuée par la rondeur du visage et des bras et compromise par un minuscule nœud papillon semble indiquer un désaccord : tandis que l’auteur dénonce « la dictature du cocktail », l’illustrateur la sublime. Joe, un américano, please !
Cul-culinaire
Qu’importe ! Au fil des plats,
l’auteur nous régale de définitions revues et corrigées, de mini-scénettes qui
frisent le double sens. « Le café comme l’amour doivent être servi brûlant ».
Parlant hors-d’œuvre, Berjanette affirme qu’ « amuse-bouches et bagatelles de
la porte ne servent parfois qu’à masquer l’insuffisance des services ».
Comprenne de travers qui voudra. De même, quand, après avoir égrené les différentes
stations du chemin du poids, Berjanette en arrive aux fruits, elle ne peut s’empêcher
de brouiller encore et toujours les pistes en écrivant : « “c’est
tout sucre en mon panier” semblent dire les yeux des jolies gourmandes. Et les
doigts des hommes y répondent en palpant une pêche, en violant une figue… »
Pour finir sur un pet de nonne
Jamais la comtesse de Croze n’aura su complétement faire taire en elle la
Berjanette des débuts. Au point que nous avons voulu savoir d’où elle avait
tiré son surnom. Curnonsky en donne l’origine dans le Paris-soir du 16 juin 1929. Nul ne sait si elle est exacte, mais elle a
le mérite de nous confirmer son goût pour le bon mot. Selon Cur 1er,
tout viendrait d’une « Galéjade gastronomique : C'est une petite histoire
sans prétention, retrouvée dans un vieux livre du XVIIIe siècle, les Inconvenances de Berjanette [entre vous
et moi, inconnues au bataillon des livres de la BNF]. La jeune marquise de
Blamont Chauvoy offrait à souper à quelques intimes. Au moment de l'entremets,
on servit des pets de nonne, chef-d'œuvre de Mélanie, le cordon bleu de la
maison. Or, le président de Tourvelles, d'habitude très friand de ces gourmélises,
ne parut point y apporter son ordinaire dilection. Il chipotait dans son
assiette sans se décider à manger.
— Eh ! quoi, mon cher président, lui demanda la marquise, qu'attendez-vous pour
nous imiter ? Vous savez pourtant que Mélanie réussit les pets de nonne comme
aucun autre cordon bleu.
— Je sais ! je sais ! madame, répartit le président. Je suis justement en train
de chercher celui de la Supérieure !
Le livre qui a permis de rédiger cette lorgnette est en vente à la librairie. Il s'agit de:
Berjanette
Les Femmes, la Table et l’Amour. Illustré Par L. Benigni
Paris, Laboratoire de la Passiflorine. 1933.
Plaquette in-8; broché, couverture imprimée en deux tons.
Illustrations à toutes pages.
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