dimanche 2 mai 2010

Charles Nodier, escorté d'un illustrateur masqué et d'une piquante élégante.

Des années napolitaines de son père, précepteur du futur duc de Terranova, Louis Morin (1855-1938) garda le goût des masques…vénitiens et les dessina à l’envi, entre autres dans son Venise…rêve, dans le Carnaval de Venise et les Vingt masques de Maurice Vaucaire . Il les naturalisa français dans ses Carnavals parisiens parus en 1898. Par l’écrit et par l’image il y fixait sur papier pour les lecteurs tragiquement démasqués que nous sommes, les bals d’artistes, le bal des Quat-z-arts, le bœuf gras, la cavalcade des étudiants, la mi-carême des blanchisseuses qui faillirent mourir sous les coups de 1870 et qui n’allaient pas tarder à disparaître selon lui, menacés par la « règle des trois-huit ». L’illustrateur était furieusement visionnaire.
Raoul Ponchon pour sa part, voyait en Louis Morin rien moins qu’un « peintre exquis du dix-huitième / Egaré dans le dix-neuvième » et pour qui « La vie [était] faite de clarté,/ Pour lui, de joie et d’évidence,/A ce qui [n’était] pas la Beauté/ Il [n’accordait ] aucune importance». « [Cette] doctrine - conclut Raymond Hesse -, lui permit de conserver un crayon alerte, gai, agréable, une âme sereine malgré la vieillesse, les deuils, les tristesses de l’existence. Il célébra la joie, il enseigna l’amour, et s’il fut indulgent aux faiblesses, il stigmatisa toujours la lâcheté, l’hypocrisie et la fausse pudeur ».
Or, de fausse pudeur il n’en est pas question un seul instant chez Charles Nodier (1780-1844) dont un texte rencontra le pinceau de Morin en 1895. Il s’agissait du Dernier chapitre de mon roman qui devait paraitre chez l’éditeur Conquet. Non vraiment, on ne sent aucune fausse pudeur dans le travestissement qu’il fait de sa rencontre avec la belle madame Hainguerlot lors d’un bal en 1801. Il faut plutôt y voir le mécanisme de la fiction littéraire qui, chez Nodier se fonde sur son expérience d’homme sensible. L’écrivain, dans une lettre à Armand Ragueneau datée du 1er mars 1803, insistait sur l’importance qu’il donnait à cette réalité recréée : « Il s’agit du local où je donne mon bal masqué, et certainement, c’est de toutes les circonstances du livre, celle qui sera la plus indifférente aux lecteurs ; mais elle est liée dans mon cœur à de tels souvenirs, qu’à quel que prix que ce fût, je ne pourrais la sacrifier, sans cesser d’aimer mon ouvrage ». « Il y a là un indice de l’importance attachée par Nodier à certains éléments narratifs, anodins d’apparence et destinés à passer pour tels aux yeux des profanes, mais pour lui porteur d’une charge affective secrète » résume Jacques-Rémi Dahan dans son introduction à Charles Nodier. Correspondance de jeunesse
Puisqu'i n’y avait pas une once de fausse pudeur dans l’entreprise, rien vraiment ne s’opposait à ce que Morin illustre le texte. Mais, comme dans de la plupart du temps, on ne sait pas le pourquoi ni les détails de la collaboration de l’illustrateur et l’éditeur. On peut seulement se laisser aller gentiment à rêver que Louis Morin l’accepta après avoir eu vent de la piquante repartie de madame Hainguerlot, l’héroïne de Nodier, citée par Philibert Audebrand dans ses Petits mémoires d'une stalle d'orchestre (1885) : « Dans un bal, un masque la poursuivait, la harcelait de ses importunités ; vêtu d'un vieux costume fripé, qu'il achevait de salir, un tricot couleur de chair que couvrait à demi une mauvaise tunique bleue, il portait en sautoir un carquois dépenaillé; c'était une caricature vivante de l'amant de Psyché. A l'oripeau qui ceignait son front, à l'arc doré, ou plutôt dédoré, sur lequel il s'appuyait, aux ailerons fatigués accrochés à ses épaules, il était impossible de le méconnaître. Comme madame Hainguerlot s'obstinait à ne pas faire attention à ce piètre personnage :
— Regardez-moi donc, lui dit-il, regardez-moi donc? Je suis l'Amour !...
— Tu n'es certainement pas l'amour propre ! repartit madame Hainguerlot. »
Morin qui avait un sérieux sens de l’humour, n’aurait en effet pu que prendre cette pirouette pour un nouvel appel du Masque et n’aurait pu alors qu’accepter de peupler de 33 charmantes compositions les marges de ce Dernier chapitre de jeunesse. 
biblio: Les artiste du livre: Louis Morin. étude par Raymond Hesse. Babou, 1930; Jacques-Rémi Dahan  Charles Nodier. Correspondance de jeunesse. Champion, 1995. 

En rayon actuellement à la librairie //

Louis Morin Carnavals Parisiens. Bal des Quat'z'arts. Vache enragée. Bals du courrier. Bœuf gras. Cortèges des étudiants. Cortèges du Moulin-Rouge.
Paris, Montgredien et Cie, Librairie Illustrée, s.d. (1898).
In-12 demi-vélin à coins, dos lisse orné d’un dessin aquarellé de Morin reprenant un de ses motifs de satyre et bacchante, jaquette de protection en papier reliure.
Faux-titre, titre, dédicace, X, 186, [2] pp.
Edition originale tirée à 125 exemplaires, celui-ci sur japon numéroté et signé par Morin. et Couverture de l’édition brochée placée en planche dépliable en début de volume, et « affiche intérieure » couleurs de présentation du livre placée en planche dépliable en fin de volume.  
170 illustrations dont 9 hors-texte noir et blanc, 32 in-texte couleurs. Ex-libris.
















Charles Nodier Dernier chapitre de mon roman.
Paris, L. Conquet, 1895.
Grand in-8, demi-veau cerise à coins, dos romantiques, pièces d’auteur et de titre. Reliure de Carayon (1844-1909), relieur d’art spécialiste de la reliure rétrospective travaillant pour de riches bibliophiles.
Edition limité à 200 exemplaires sur vélin, celui-ci à grandes marges numéroté et paraphé par l’éditeur. Illustré de 33 compositions aquarellés de Louis Morin.