Habiles Morny et Cornuché Avant de plonger dans ces années 20 qui allèrent
comme un gant à Deauville, il n’est pas inutile de remonter un peu dans le
temps. C’est d’autant plus facile que le premier acte de la pièce de théâtre
de Stern et Reille se passe « sur la plage de Deauville en 1865 ».
Quelques lorettes, sur scène, chantonnent « L’an dernier un gentilhomme
/ s’arrête en ce lieu charmant / de sa canne il tient la pomme / et frappe le
sol mouvant | Aussitôt surgit Deauville / ce n’était qu’un trou pas cher /
Morny vient et une ville / s’érige en ce lieu désert ». Ils sont bien
aimables avec Morny les auteurs ! Victor Hugo, qui le fréquenta pourtant
un temps, le décrivit comme étant un « homme [...] ayant les manières du
monde et les mœurs de la roulette, content de lui, spirituel, combinant une
certaine libéralité d'idées avec l'acceptation des crimes utiles, trouvant
moyen de sourire avec de vilaines dents, menant la vie de plaisir, dissipé,
mais concentré, laid, de bonne humeur, féroce, bien mis, intrépide, […],
viveur, tueur, ayant toute la frivolité conciliable avec l'assassinat, […]
aucune conscience, une élégance irréprochable, infâme et aimable, au besoin
parfaitement duc: tel était ce malfaiteur. » Mazette ! Quel
portrait ! Cornuché qui sera le second démiurge de la ville apparait
plus lisse, bien que l’on sache que c’est une grosse colère qui lui fit
quitter avec pertes et fracas un Trouville flamboyant pour un Deauville encore vagissant.
Certes, cinquante années séparent les deux hommes, certes, l’un agit au grand
jour, l’autre en sous-main, mais leur sens consommé des affaires, exercé à
l’envi en Normandie, les réunit sans conteste : ils voulurent et
réussirent à faire de Deauville a place to be.
 | Quand le théâtre la publicité rendait hommage à Deauville
|
Bouquetière du Jockey club en villégiature
Il n’y a qu’à lire la charmante plaquette illustrée
de dessins et de photographies rédigée en anglais pour constater leur pleine
réussite. Si elle est destinée aux Britanniques, la pièce de théâtre, elle,
vise le haut du panier français. Nous n’en citerons qu’une preuve, mais de
taille : un des personnages n’est autre que la fameuse bouquetière du
Jockey club, cette jeune femme dont l’inventivité commerciale et le sens du
happening furent dignes de Morny et Cornuché. Elle eut, des années durant,
l’insigne honneur d’accrocher têtes d’œillet ou de camélia au revers des
vestes des fringants membres d’un des clubs les plus selects d’Europe. Sa
logique était imparable comme le rappelle Stern et Reille : « Quand
tous mes protecteurs partent pour Deauville : je suis mes
protecteurs ». CQFD. En jouant un peu des coudes, elle garda longtemps
le haut du pavé avant de s’étaler de tout son long. Mais cela, c’est une
autre histoire. Une didascalie, néanmoins, nous retient un instant encore à
ses côtés : les auteurs indiquent en préambule de son entrée en scène
qu’elle est habillée d’un « corsage à basques orné de boutons d’acier,
jupe relevées par des ficelles, ciseaux à la taille, bourse en bandoulière,
un panier à fleurs à la main ». La description de sa mise est détaillée
et on peut y voir, au choix, un intérêt historique ou une nostalgie pour la
mode des années 1860.
 | La bouquetière du Jockey club s'en va à Deauville
|
De la mode, du sport et des pâtés de sable Il faut dire qu’à Deauville, la mode était à son affaire. En 1913, par
amour pour son Boy-friend (mais aussi par flair), Gabrielle Chanel y inaugura
sa première boutique. Deauville fut le théâtre du lancement de sa fameuse
marinière et la porte d’entrée du tweed et du jersey dans ses basiques. Rien
de curieux donc, qu’aux alentours de 1925, quand il s’attaqua à la promotion
de Deauville, Draeger, la star des éditeurs publicitaires, fit appel aux
frères Séeberger, les photographes les plus élégants de l’époque. Si on
s’attarde sur les photos qui sont reproduites en petit format dans la
plaquette, on retrouve ici et là quelques images du chic d’alors. Mais ce
sont les très nombreux dessins en couleurs qui attirent surtout l’œil. Placés
en bandeaux, en vignettes, flirtant avec le texte, ils donnent illico l’envie
de se frotter à ce monde insouciant, sportif et aimable qui se baigne, danse,
monte à cheval, lance des jetons sur le tapis vert, fume, papote, joue au
polo et au tennis, navigue, golfe et, pour les plus jeunes, fait des pâtés de
sable.
 | tandis que les plus jeunes font des pâtés de
sable... |
Portrait minute et craché de Deauville C’est à Pierre-Olivier Dubaut que l’on doit ces
merveilles de petites aquarelles. Gérald Schurr qui s’est penché sur sa
carrière écrit justement que ce « virtuose de l'aquarelle, véhicule
idéal de sa souplesse d'invention, de sa chaleureuse spontanéité. D'un
pinceau agile, il saisit sans la fixer la vie qui passe, le mouvement
fugitif, l'éphémère. Il suggère la forme d'un trait sans repentir, élégant et
léger ». N’est-ce pas là tout le Deauville des années 20, celui-là même
que Stern et Reille ont, eux, retranscrit pour la scène ? Le deuxième acte,
calé sur des airs célèbres donne un portrait-minute très ressemblant du
Deauville des auteurs : Jean Stern était un propriétaire de chevaux de
course enragé au point de faire relier ses ouvrages – dont le tapuscrit que
nous feuilletons – aux couleurs de son écurie, reprenant le bleu ciel et les
étoiles de sa casaque. Karl Reille fut, lui, un artiste du tout vénerie,
vouant une grande partie de son talent à la chasse à courre. Célèbre à
l’époque, il l’est toujours aujourd’hui.
 | Sacha, Reynaldo, Yvonne, Anna et la Mère Michel
|
Sacha, Reynaldo Yvonne et Anna Les deux amis qui retrouvaient à Deauville
l’aristocratie du Turf en août, pour la saison des courses et des ventes de
yearlings, profitaient alors de la douceur de vivre deauvillaise à laquelle
ils rendirent hommage en écrivant à quatre mains La course au plaisir. Ce fut
l’occasion pour eux de pratiquer un abondant name dropping, fait en
partie d’amusants jeux de mots approximatifs. Ainsi, sur l’air de C’est la
Mère Michel, nous nous surprenons à chantonner : «c’est Yvonn’ Printemps
qui a perdu Sacha / Guitry par la fenêtr’ qu’est-ce qui me le rendra / C’est
son beau-père Lucien/ Qui lui a dit : nom d’un chien ! / Sachez
Yvonn’Printemps, que vot’ Sacha va bien. Plus loin, on lit que « si l’on
craint qu’la comtesse Mathieu se noaille, par contre Hahn d’une sirène a
l’dos.» La comtesse? c’est la poétesse Anna de Noailles. Hahn, c’est
Reynaldo, qu’on retrouve, évidemment, dans la plaquette de Draeger : le
« musician and composer of wide repute » tient alors lieu de
« director of the Music at Deauville ».
 | Polo sur la plage!
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La Croix Rouge en Lanvin Il ne faudrait pas croire cependant que la pièce de
théâtre ne fut écrite que pour désennuyer ses spectateurs « du bain et
de l’arrière-bain ». Elle fut montée au profit du Foyer de l’enfance
deauvillaise et des orphelins de la guerre comme on le lit en ouverture du
programme qui a été relié avec le tapuscrit. Pour être certains que tout ce
beau monde mette au pot, les auteurs avaient fait précéder la représentation
d’un prologue qui mettait en scène Mademoiselle de la Croix Rouge dépouillée
de son habit d’infirmière et parée « d’une délicieuse robe de chez
Lanvin ». Stern et Reille lui faisaient achever son petit laïus
ainsi : « Si l’on s’amuse sur la Plage fleurie, si l’on y danse, si
l’on y joue, si l’on y dépense beaucoup pour son bien-être et ses plaisirs,
on n’oublie pas cependant les malheureux, et malgré la vie chère et l’âpreté
du fisc, à Deauville, on sait donner, quand c’est pour la Croix Rouge ».
Le Figaro du 25 août 1921 montra que ce n’était pas ni vœux pieux
ni paroles en l’air puisque « la revue de M. Jean Stern et du
baron Reille, véritable régal artistique, produisit une recette dépassant
40.000 francs. » © texte et illustrations
villa browna
Les livres qui ont permis de rédiger
cette lorgnette est en vente à la librairie. Il s'agit de:
Tapuscrit | Jean Stern & Karl Reille
La course au plaisir Fantaisie-revue en deux actes et un prologue, représentée sur le théâtre
du Casino de Deauville le 23 août 1921.
Petit in-4 carré, [3] f. de prologue, 29, 34 p., percaline bleue à la bradel,
dos lisse, étiquette d'auteurs et de titre en basane bleue, 25 étoiles dorées
au plat supérieur. Couverture illustrée à l'identique conservée.
Un des rares tapuscrits de cette pièce de théâtre dont aucun autre
exemplaire n'est référencé dans les bibliothèques.
Enrichi du programme lithographié et signé par certains des comédiens, monté
sur onglet. infos & commande
Plaquette publicitaire
Deauville – France
Draeger, s.d. (circa 1925) Petit-in-4 broché, couvertures ornées de lettres et
ornements dorés. Etiquette « spécimen unique (ne pas donner) »
collée sur la première de couverture. Deux lignes de salissures.
Elégante plaquette publicitaire rédigée en anglais et mise en forme par l’incontournable
Draeger, éditeur-roi des plaquettes publicitaires de l’époque. Abondante
illustration à toutes pages composée de dessins en couleurs de Pierre-Olivier Dubaut et
de photographies en noir des Séeberger, de Guilleminot et d’Henri Manuel. infos & commande
Biblio
Dominique Barjot, Eric Anceau, Nicolas Stoskopf Morny et l'invention de
Deauville
Biblio : Pierre Olivier Dubaut, petite rétrospective, Gérald Schurr,
Galerie Apesteguy, Deauville 1986
 | le programme de La Course au plaisir
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