#PourCeuxQuiSontPressés
La #Lorgnette de la #VillaBrowna feuillette un #LivreAncien. Cette fois-ci, il s’agit de la #RevueLeCentaure de #LéonCrémière
#BonPlaisir #Photographie #Hippodromes #Vènerie #Chasse #Vaches #chevaux #chiens #mode #opéra
Pour ceux qui n'ont pas non plus le temps, mais qui le prennent quand même.
Si un centaure, rien qu’un seul, vécut au XIXe siècle, il fut évidemment le protégé de Léon Crémière. Crémière, ce fut le prototype du gars plein de ressources du Second Empire. Il fut l’élève puis l’assistant de Disdéri le photographe du Tout-Paris et l’inventeur en 1854 du portrait au format carte-de-visite. N’ayant pas l’œil dans sa poche mais plutôt rivé à l’objectif, n’ayant pas les deux pieds dans le même sabot, mais bien plantés dans son époque, Crémière ouvrit avec succès son propre studio en 1862. Il y photographia tous ce qui comptait alors d’aristocrates en vue, d’artistes et de célébrités dans le vent, de militaires fringants. Cette même année 62, il fut nommé photographe de la maison Impériale. Tout roulait pour Léon qui avait montré très vite un penchant véritable pour les animaux, chevaux et chiens principalement, qu’il photographia avec une grande sincérité.

Mais pourquoi serions-nous obligés de tout expliquer à la fin? Pourquoi ne pas considérer tout simplement que ce soit au bon plaisir du dessinateur qu’il faille se référer pour… ne pas avoir à décrypter cette image composée de bric et de broc.

Cela se sent aussi dans la fantaisie qui a présidé au choix des nombreuses illustrations qui accompagnent chaque numéro. Y défilent dans un désordre charmant les effigies d’hommes, de chevaux et de chiens célèbres, des scènes de
courses hippiques et d’attelage, les portraits de vaches primées à la Villette, d’élan de Suède, de lévrier de Russie de chameau harnaché, de faisans multicolores et puis - pourquoi se priver – des évocations du vélocipède naissant, des palmiers luxuriants, de patins à glace révolutionnaires et sublimement glissants. C'est grisant de glisser! Grisant au point que Wladteufel en 1882 en tirera son chef-d’œuvre: Les Patineurs [1]


Quelques pages plus loin, est relaté par le menu un duel au pistolet qui se déroula dans le wagon des bagages d’un train allant de Nashville à Decatur (Tennessee). Les coups de pistolet n’ayant rien donné hormis l'assassinat de l’unique ampoule du lieu, les deux ennemis se ruèrent l’un sur l’autre dans le noir le plus complet et au petit bonheur la chance se lacérèrent de coups de couteaux. Pour rester dans l’ambiance roman de gare, on aura une pensée pour « Souverain, magnifique étalon acheté 10,000 fr. par le gouvernement pour les haras, [qui fut] tué en arrivant à destination de la gare de Rosières. Son wagon-écurie [fut] broyé par la rencontre d'un train de marchandises survenant au moment où on le rangeait ». Dans un autre genre, on s’étonnera de lire que Johnny Bishop, fameux joueur de dominos aveugle, laisse une si fortune colossale à ses héritiers... Un seul adversaire le battit dans toute sa carrière. Je vous le donne dans le mille : il était lui aussi aveugle.
Enfin, on regrettera de ne pas pouvoir accompagner ce collaborateur appliqué du Centaure qui relevant au 27 de la rue Saint-Denis cette enseigne : « MADEMOISELLE AMANDINE. Pommes de terre frites et leçons de piano », considéra que « La chose [valait] la peine qu’on aille vérifier ». Aujourd’hui, las !, LINDSAY a remplacé AMANDINE. Et les fringues made in China, les frites et les double croches.
En laissant la bride lâche sur le cou de son bon plaisir, Crémière crée des éclairages parfois inattendus. Qu’on en prenne pour preuve, ces deux nécrologies qui semblent avoir été composées en miroir. D’un côté, on revient sur les grandes lignes de la vie de Néro, chien favori du Prince impérial, de l’autre sur celles d’Artus Talon, le chéri des champs de courses. Un chien et un homme également pleurés.
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Néro par Carpeaux et Rousseau |
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Artus Talon, en chair et surtout en os. |
"Tous les dimanches, tu tomberas.
Et les lundis, pareillement.
Jamais chair ne mangeras.
Pour être maigre à tout moment."
A plusieurs reprises, la personnalité de Talon apparait dans Le Centaure mais jamais mieux croquée que par le caricaturiste Crafty qui le fit plus maigre qu’un cent de clou et vissé à son cheval coûte que coûte. Si Talon fut le vrai centaure de son époque, Crafty fut quant à lui le poulain de Crémière. Dans chaque numéro ou presque, le rédacteur en chef lui octroya deux pages entières qui virent naître les premières planches de ses observations parisiennes et s’épanouir ses premiers instantanés de l’exposition universelle de 1867. Ces planches furent réunies plus tard par Crémière qui les publia en deux albums, les premiers de Crafty, qui furent intitulés « Snob à Paris » et « Snob à l’exposition ».
La gestion du vide par Cratfy et Vallotton
C’était encore le temps où l’on recrachait le caviar dans des crachoirs installés à cet effet. Crafty donne une amusante version crayonnée de cette méfiance pour la gastronomie russe. La légende du dessin se désole que « pour une personne qui entre et consomme, trois cents se contentent de regarder. Tout le monde aurait-il donc goûté au caviar ? » L’illustrateur joue sur les pleins et les vides pour montrer la suspicion des visiteurs français envers les cuisiniers russes. Comme Vallotton dans La manifestation, dessinée une vingtaine d’années plus tard, il prend le parti de masser le gros des troupes en haut et à droite de l’image. Le vide créé en bas à gauche semble plus intense et plus trouble, par le simple fait que notre esprit cartésien tend inconsciemment à placer les « choses lourdes » vers le bas. Voilà qui, en passant, vous explique pourquoi l’histoire de la chute de la pomme de Newton vous permet de piger au quart de tour la théorie de l'attraction universelle.
Laissons Newton à sa pomme, Archimède dans son bain et revenons à Crafty qui ne fut pas qu’un histrion de l’anecdote. Ses dessins redonnent vie à ce Second Empire insouciant et souvent potache. Ses illustrations vives et faussement naïves prennent aussi à l’occasion une importance insoupçonnée. L’une d’elles permet d’exhumer un témoignage d’une de ces demeures disparues qui font le quotidien des courageux étudiants de l’Ecole du Louvre qui suivent le cours « Architecture et décor des grandes demeures ». Dans la livraison de mars 1867, Le Centaure fit en effet paraître un de ses dessins représentant un des huit panneaux peints par Heyrault pour le décor du salon aujourd’hui disparu de La Vénerie, l’incroyable maison que voua au culte de la chasse le comte d’Osmond, ce furieux sportsman à qui nous devons les épatants Hommes des bois.
Les vainqueurs des steeple chases de 1868
Le Centaure, c’est aussi la bible des courses, cette belle folie du Second Empire. En 1857, sous l’insistance du duc de Morny, demi-frère de Napoléon III et membre du Jockey Club, on a inauguré en plein bois de Boulogne l’hippodrome de Longchamp, le premier véritable terrain de plat de la Capitale. La Société des Steeple-Chase de 1863 jusqu'à la guerre de 1870, organise des courses d’obstacles dans le bois de Vincennes.
Les courses font véritablement fureur. Les jockeys sont alors de très fashionables petites personnes, aux lèvres carmin, aux favoris et moustaches passés au fer à friser. Les couleurs chatoyantes des toques et casaques font écho aux robes et chapeaux des belles de cet Empire durant lequel on galopa et on valsa à qui mieux mieux. Dans Le Centaure, pas un numéro ne sort sans sa ou ses gravures hippiques. Le plus souvent en couleurs, elles sont gommées donnant une impression profonde de vitalité. Les chevaux sont de beaux spécimens que l’on connait par leur nom et que l’on représente légèrement allongés dans un goût anglais alors « so chic ! ». La maquette de la revue n’est-elle pas elle-même - c’est la Revue britannique qui l’affirme - « conçue sur le plan des journaux anglais de sport et de chasse et rédigée par les notabilités du monde cynégétique » ?


Les cauchemars par Füssli et Crafty
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"Il me trouve un peu dur" |
Et nous revient en plein esprit, ce passage d’Un voyage dans les terres de Robert-Louis Stevenson (1878) qui nous a, il y a peu, été admirablement lu. Je vous laisse juges : « Et s'il est vrai, comme je l'ai ouï dire, que les tambours sont recouverts de peau d'âne, quelle pittoresque ironie cela ne contient-il pas ! Comme si la peau de ce patient animal n'avait pas été suffisamment battue pendant qu'il était en vie […], il fallait encore qu'elle fut enlevée aux quartiers de derrière de la pauvre bête, après sa mort, tendue sur un tambour et battue chaque nuit à la ronde dans les rues de toutes les villes de garnison de France. […] Mais dans cet état de momie et de triste survivance à soi-même, lorsque la peau creuse retentit sous les coups des baguettes, que chaque rataplan va droit au cœur d'un homme, y introduit la folie et cette disposition du pouls, que dans notre façon emphatique de parler nous surnommons Héroïsme, n'y a-t-il pas une espèce de vengeance contre les persécuteurs de l'âne. Autrefois, pourrait-il vous dire, vous me faisiez monter la colline et descendre la vallée coups de bâton, et j'étais forcé de l'endurer mais présent que je suis mort, ces coups sourds qu'on entendait peine dans les chemins de campagne sont devenus une musique entrainante en tête de la brigade, et pour chaque coup dont vous avez frappé ma peau, vous verrez un camarade chanceler et tomber ». © texte et illustrations villa browna / Valentine del Moral
[1] pour les écouter https://www.youtube.com/watch?v=K2k4B2VsIGU
LA REVUE QUI A PERMIS D’ÉCRIRE CETTE LORGNETTE est en vente à la librairie.
Le Centaure
Paris, Crémière, 1867-1868.
3 volumes in folio, percaline éditeur verte frappée de lettres et écussons dorés.
Rares volumes de cette revue très célèbre, très réputée, témoin du faste du Second Empire. Le Centaure, sous la direction de Léon Crémière parut de 1866 à 1869. Les trois volumes présentés couvrent l'année 1867 et une demi-année de 1868.
Quelques brunissures. Rares incidents aux lithographies aquarellées à la main, la plupart du temps aux endroits qui furent vernis. Un portrait de célébrité d'opéra manquant.
103 planches sur carton fort. Ces planches allient les techniques de la photographie, la lithographie en deux tons, la lithographie en couleurs, la lithographie aquarellée à la main et gommée, les gravures de mode.
Dans le texte, à pleine page, on trouve de très nombreux dessins au trait, essentiellement de Crafty.
Th. 159 "On trouve dans cette revue des renseignements qu'on chercherait vainement ailleurs sur la vènerie impériale et sur les grands équipages de l'époque".
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