#PourCeuxQuiSontPressés
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Les Eagles prophétisés par Apollinaire |
Pour ceux qui n'ont pas non plus le temps, mais qui le prennent quand même.

Et c’est ce qui effectivement ce qui arriva. Case d'Armons et les poèmes écrits entre 1912 et 1917 parurent au Mercure de France en avril 1918. Le Mercure et Apollinaire, c’était une vieille histoire. Les portes de la maison lui avaient été ouvertes en 1908 par Léautaud qui y fit publier sa Chanson du mal-aimé. « Leur amitié dura, malgré le caractère difficile de Léautaud, jusqu'à la mort du poète. C'est sans doute pour tenir compagnie à Apollinaire
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La revue du Mercure tâchée |
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Une reliure de Devauchelle pour l'exemplaire de Gérard Bauër |
L’édition originale des Calligrammes, numérotée, fut imprimée sur du papier de guerre orangé, rêche et odorant. L’exemplaire que nous présentons a miraculeusement conservé sa parfaite intégrité alors que l’on sait que ce méchant papier a une fâcheuse tendance à être cassant. Il a été protégé par ses couvertures d’origine et par une reliure de Devauchelle pleine de tact. Ce demi-maroquin à coins brun, aux plats et aux pages de garde de papier vert terreux souligne chromatiquement l’omniprésence du champ de bataille dans le recueil. Roger Devauchelle, à n’en pas douter, dut particulièrement s’appliquer à relier cet exemplaire, lui qui naquit en 1915 d’un père mort au champ d’honneur en 1914[5]. Apollinaire fut lui aussi, en quelque sorte, orphelin. Enfant non reconnu, élevé sans père, il partageait avec Devauchelle l’expérience de l’absence. Mais c’est le parfum de scandale qui le rapprochait de Gérard Bauër, à qui cet exemplaire appartenait. Le père de Bauër en effet ne fut autre que le fils naturel d’Alexandre Dumas, autrement dit un bâtard comme Guillaume.
Sans père, le poète-soldat, avait hérité d’une deuxième mère en devenant français le 9 mars 1916. Cette mère-patrie ne lui fit pas de cadeaux. Apollinaire, bonne pâte, n’en voulut pas à sa marâtre. Il chercha juste à laisser un « souvenir impérissable du moment de l'humanité où tout périssait »[6] . Par la même occasion, il décida d’en profiter pour faire entendre le chant du cygne de la « typographie [qui terminait] brillamment sa carrière, à l'aurore des moyens nouveaux de reproduction que [seraient] le cinéma et le phonographe. »[7].
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Liber de laudibus Sanctae Crucis |
Pour certains, les « calligrammes [furent] provoqués par les influences conjuguées du Mallarmé de Un coup de dés, la mise en page des journaux, les sous-titres des films, à un degré moindre par l'écriture sino-japonaise et par les premières expérimentations futuristes qui [voulaient] ajouter le mouvement (déplacement à la fois dans l'espace et dans le temps) à la simultanéité. »[8]
Le procédé n’était pourtant pas nouveau. Et de clignoter dans notre esprit, l’image de la Dive Bouteille rabelaisienne dont les contours épousent les mots de la prière de Panurge[9]. Il est par
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Micrographie hébraïque |
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...pour changer un pneu |
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Case d'Armons polygraphié |
La couleur violette des textes reproduits au stencil, c’est connu, tire parfois jusqu’au bleu. Or le bleu est la couleur prédominante des Calligrammes bien qu’il ne s’attache nullement à qualifier le ciel la plupart du temps fuyant, camouflé quand il n’est pas aux abonnés absents. Le bleu est plus à l’âme. Il se fait «galop bleu des souvenances», rappel de mer «Bleu-de-roi comme les golfes méditerranéens », « volutes bleuâtres » d’un cigare. Il joue les correspondances baudelairiennes quand il permet au « crapaud [de moduler] un tendre cri d’azur ». Et puis bien sûr, il évoque à plusieurs reprises « l’intrépide bleusaille » trop jeune et l’horizon des vareuses de la soldatesque trop bleues.
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De marchantes mottes de terre |
Il réinvente dans la lancée le mythe de la bête endormie que l’on réveille et qui s’applique à vous faire comprendre qu’elle est du coup d’une humeur de dogue. Les soldats ne sont pas des marins qui mettent pied à terre sur une baleine assoupie prise par erreur pour une île et qui, ranimée par les allers et venues des bonshommes, les noie en plongeant sans crier gare. Ils ne sont pas non plus confrontés
à l’ire du Kraken engourdi qui dernièrement a été dérangé par les
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le Kraken version Caraïbes |
Non. « Tandis que la guerre / Ensanglante la terre », c’est face à la Terre furieuse, qui n’a plus rien de nourricière que les soldats de la der des der se retrouvent malgré eux. « La terre a faim et voici son festin de Balthasar cannibale / Qui aurait dit qu’on pût être à ce point anthropophage / Et qu’il fallût tant de feu pour rôtir le corps humain ». Allons ! « Ne pleurez donc pas sur les horreurs de la guerre / Avant elle nous n’avions que la surface /De la terre et des mers /Après elle nous aurons les abîmes » ! Tu parles d’un cadeau. En prime, la Terre a fait en sorte de laisser béant chaque « trou qui tient lieu d’âtre et ce qui y brûle est un feu semblable à l’âme ». Il n’y a plus six portes de l’Enfer comme les avaient dénombrées les Anciens, mais autant que de cavités ménagées par autant d’obus tombés. Cerise sur le gâteau, la Terre s’est fait accompagner de sa fille la Tranchée qui est tombée amoureuse en bloc des troufions : « Ô jeunes gens je m’offre à vous comme une épouse / Mon amour est puissant j’aime jusqu’à la mort / Tapie au fond du sol je vous guette jalouse / Et mon corps n’est en tout qu’un long baiser qui mord ».
C’était encore et toujours pour les jeunes classes de 15 et de 16 qu’Apollinaire se fait du mouron.
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Wilde/Apollinaire selon Fleuret |
« Apollinaire se vantait de ses dons de prophète et bien de ses prédictions se sont réalisées » affirme sans ambages Michel Décaudin, exégète du poète et découvreur des Lettres à Lou. Or, sa prédiction la plus sensationnelle se trouve peut-être toute entière dans un des poèmes de Calligrammes, « Les collines ».
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Derrière les Collines... |
La petite musique des « Collines » sonnent familière à nos oreilles baignées de culture pop. Bientôt les accords d’ « Hotel California » se font entendre au loin, qui se rapprochent. “Le chauffeur se tient au volant / Et chaque fois que sur la route / Il corne en passant le tournant/ Il paraît à perte de vue / Un univers encore vierge”, comme “on a dark desert highway” (le long d’une autoroute sombre et déserte). Au bout de la route, une jeune femme. “She lit up a candle and she showed me the way” (elle alluma une bougie et me montra le chemin). “C’est la dame / Elle monte dans l’ascenseur /Elle monte monte toujours /Et la lumière se déploie / Et ces clartés la transfigurent”. Si on danse dans « Les collines » et à l’ « Hotel California », c’est pour essayer de vaincre le temps. “Le bal tournoie au fond du temps” … “Some dance to remember, some dance to forget” (certains dansent pour se souvenir, certains pour oublier). Et tandis que “Tous sont morts [,] le maître d’hôtel / Leur verse un champagne irréel”, certainement un “pink champagne on ice”.
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Apollinaire poète poilu prophète |
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Bertha versus Janis |
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Madeleine tombée au champ d'humeur |
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Le casque conservé à la BHVP |
LE LIVRE QUI A PERMIS D’ÉCRIRE CETTE LORGNETTE est en vente à la librairie
Guillaume Apollinaire
Calligrammes
Paris, Mercure de France, 1918.
In-8, demi-maroquin à coins brun, filets dorés, aux plats et aux pages de garde de papier vert. Tête dorée. Reliure signée Devauchelle. Couvertures et dos conservés.
Édition originale muni de l’achevé d’imprimer à la date du 15 avril 1918. Elle est illustrée d’un portrait de l’auteur gravé sur bois par R. Jaudon d’après un dessin de Pablo Picasso.
Précieux exemplaire numéroté sur papier d’édition ayant appartenu à Gérard Bauër. On y retrouve sur la page de faux-titre son ex-libris, genre de bulle échappée de la case d’une bande dessinée. Cet exemplaire fut mis en vente à Drout en 1962 de son vivant par Bauër. Il était alors broché. La reliure de Devauchelle est donc postérieure à 1962. Bibliothèque de M. Gérard Bauër, de l'académie Goncourt, Drouot, 22 mai 1962. n° 2.
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NOTES
[1] In Le palais du tonnerre[2] In Il y a[3] Lettre présentée lors de l’exposition Apollinaire. Paris, Bibliothèque nationale, 1969 / [catalogue réd. par Jean Adhémar, &c][4] Exposition Apollinaire. Paris, Bibliothèque nationale, 1969. [5] Notice biographique in universalis.fr/encyclopedie/roger-devauchelle
[6] Apollinaire par Rouveyre in Arts et métiers graphiques, mai 1930[7] Lettre à A. Billy In l’exposition Le Livre. Paris, [Bibliothèque nationale, 1972 / [catalogue sous la direction de Roger Pierrot et Marcel Thomas].[8] In l’exposition Apollinaire. Paris, Bibliothèque nationale, 1969 / [catalogue réd. par Jean Adhémar, &c].[9] Planche qui enrichit l’édition de 1565 du Cinquième livre et dernier livre de faicts et dicts héroïques du bon Pantagruel.[10] http://foxlet.free.fr/FR/ascii-art-et-calligrammes.php[11] Pascal Pia, Apollinaire par lui-même. In Ecrivains de toujours.[12] Un des exemplaires polygraphiés de Case d’armons a été reproduit chez Gallimard. Grâces soit rendues à notre amie D.S. de nous l’avoir mis sous le nez.[13] Fernand Fleuret, Apollinaire in Vingt-cinq ans de littérature française : tableau de la vie littéraire de 1897 à 1920. Tome 2. 1925.[14] dans une interview au San Francisco Chronicle.
[15] In Tristesse d’une étoile
Pour tout détail biographique, on se reportera au Guillaume Apollinaire de Laurence Campa, (Gallimard)
[6] Apollinaire par Rouveyre in Arts et métiers graphiques, mai 1930[7] Lettre à A. Billy In l’exposition Le Livre. Paris, [Bibliothèque nationale, 1972 / [catalogue sous la direction de Roger Pierrot et Marcel Thomas].[8] In l’exposition Apollinaire. Paris, Bibliothèque nationale, 1969 / [catalogue réd. par Jean Adhémar, &c].[9] Planche qui enrichit l’édition de 1565 du Cinquième livre et dernier livre de faicts et dicts héroïques du bon Pantagruel.[10] http://foxlet.free.fr/FR/ascii-art-et-calligrammes.php[11] Pascal Pia, Apollinaire par lui-même. In Ecrivains de toujours.[12] Un des exemplaires polygraphiés de Case d’armons a été reproduit chez Gallimard. Grâces soit rendues à notre amie D.S. de nous l’avoir mis sous le nez.[13] Fernand Fleuret, Apollinaire in Vingt-cinq ans de littérature française : tableau de la vie littéraire de 1897 à 1920. Tome 2. 1925.[14] dans une interview au San Francisco Chronicle.
[15] In Tristesse d’une étoile
Pour tout détail biographique, on se reportera au Guillaume Apollinaire de Laurence Campa, (Gallimard)