JUSTE QUELQUES LIGNES POUR CEUX QUI SONT PRESSÉS. (C’est
dommage : dans la suite du texte, on invente l’airbag lingual, on suit le procès
de Martin Guerre, on reconnait Rastapopoulos, on avale le Grand remède, on
assassine des perroquets qui parlent anglais, on lit le Code noir, on combat le
cancer.)
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Mais puisqu'on vous dit que c'est "sans danger" |
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Deux Best-sellers du XVIIIE s. |
QUELQUES LIGNES SUPPLÉMENTAIRES POUR CEUX QUI
N’ONT PAS NON PLUS LE TEMPS (mais qui le prennent).
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Best-sellers du XVIIIe siècle |
Airbag lingual |
Dans les pages consacrées à l’épilepsie dans les Mémoires, il n’est plus question de démontrer la possession, mais plutôt de soulager les crises. On recommande l’emploi d’un appareil empêchant de se couper la langue. Les crises d’épilepsie à répétition d’une demoiselle de 15 ans, racontées par le menu, permirent au docteur Pibrac, opposé à l’abus de sutures, de mettre au point son engin. Une planche dessinée avec précision montre le bridon de fil et de rubans destiné à retenir « une petite bourse de linge fin pour loger exactement la langue » aisée à nettoyer « avec un pinceau trempé dans le vin miellé ». L'airbag lingual était né.
Martin Guerre d'ADN |
avoir une dent contre la vérole |
Et remercions plutôt l’ignorance dans laquelle le XVIIIe était de l’ADN qui permit à Martin Guerre de jouer les revenants et à Gayot de Pitival de relater par le menu son procès dans ses Causes. Remercions aussi les messieurs d’avoir mis des boucles à leurs souliers, pour que les petits enfants les portent à la bouche et les avalent pour permettre aux chirurgiens de se creuser la tête. Les résolutions de l’ingestion d’épingles, de châtaignes, de boucle de soulier donc et autres arêtes de poisson sont légion dans les Mémoires.
Recueils des plus réjouissants, Causes et Mémoires ne suivent aucun ordre de sujet ; cela put leur être reproché autrefois. Cela nous comble d’aise aujourd’hui. Au hasard, côté bistouri, on passe d’une césarienne sur femme vivante – réussie – au traitement des becs de lièvres – moins concluant - ; de l’opération de la cataracte au traité de l’arrachage des membres. La très belle planche des doigts sectionnés
qui laissent s’échapper de la plaie béante leurs jolis tendons serpentins hypnotise. L’auriculaire du XVIIIe s. parait presque plus réel que le nôtre dans lequel bat un sang régulier. Le panégyrique des machines pour « prévenir et guérir la courbure de l’épine » atteinte de scoliose se mesure à l’éloge des forceps et autres « tire tête à double croix » imaginé par M. Baquié maître-es-arts, si bien conceptualisé par M. Ingram dessinateur de l’académie que « les couteliers pourront l’exécuter dans la plus exacte précision » et les obstétriciens s'en servir sur d'infortunés futurs nourrissons.
tire-tête de compétition pour futur nourrisson |
Côté plaidoiries, on passe en revue des cas d’impuissance, de bigamie, d’assassinat de conjoint, de conspiration de lèse-majesté, de procès d’inconnus-au-bataillon à celui de la bergère de Domrémy, d’hermaphrodisme. « Le lecteur découvrira donc les aventures d’Angélique de la Motte, du chanoine Rafanel et de Marguerite Malaure, soupçonnés, à tort ou à raison, d’être des hermaphrodites, état gênant en lui-même, mais a fortiori sous l’Ancien Régime, peu porté à la tendresse envers les exclus de tout poil. »
code noir |
Bien
entendu aujourd’hui, la justice et la chirurgie ne sont plus ce qu’elles
étaient en cette deuxième moitié du siècle des lumières. Aujourd’hui, Angelina
Jolie médiatise l’ablation de ses seins et de ses ovaires ; on intente des procès pour racisme à Hergé – que les
fétiches aient son âme - pour son Tintin
au Congo. (Hergé est partout… même dans les Mémoires de chirurgie qui présentent les aïeux de Rastapopoulos).
Dès la fin du XVIIIe s., les
ça ira, ça ira révolutionnaires changèrent bien des choses dans l’une et
l’autre discipline, ouvrant les vannes de ce qu’on appellera longtemps le
progrès. Mais il ne faudrait pas croire que ces éditions soient obsolètes. Au
contraire. Le goût de l’anecdote qui a colonisé les volumes que nous
feuilletons, a fini par recevoir ses lettres de noblesse et pour cause. Grâce à
lui, c’est la vie, la vraie, que nous lisons au fil des pages. Fi des romans,
des histoires morales, des pièces de théâtre qui fabriquèrent un quotidien
artificiel. Les Causes célèbres et
les Mémoires nous offrent un voyage rafraichissant
dans le temps, N’est-ce-pas épatant de se rendre compte que le « garde-chasse
[qui] reçut un coup de fusil, dont la balle lui perça le scrotum de part en
part et endommagea le testicule gauche […] avait selon toute apparence les
bourses pendantes, car le dedans de la cuisse gauche était entamé, par le
trajet de la balle, de l’épaisseur d’un écu » à savoir, à trois travers de
doigt plus bas que la blessure de scrotum. N’est-ce-pas étonnant de suivre les
tenants du procès concernant un « soufflet donné à une jolie femme ». « L’action
parut très brutale parce que cette femme était très jolie » et
accessoirement enceinte. Ce qui permet à Gayot de nous faire partager quelques
réflexions. « Une femme [enceinte] fut-elle souillée du parricide le plus
affreux, est respectée par la Justice elle-même, qui suspend son glaive pendant
qu’elle est grosse ». Et de déraper sur une royale anecdote qu’il glisse
en note, et qu’à notre tour nous ne résistons pas à reprendre. « La reine
d’Espagne, fille de Monsieur, épouse de Charles second donna un soufflet à la
camarera Major qui avait tué ses perroquets parce qu’ils parlaient
anglais ». La camarera était fort bien née, fille et petite-fille de
Grands d’Espagne qui vinrent taper du pied, frétiller de la fraise, en un mot se
plaindre au souverain. Mais quand « elle dit qu’elle avait donné ce
soufflet par une envie de femme grosse, tout le monde jugea qu’ils devaient
être satisfaits ».
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(Hergé est partout… même dans les Mémoires de chirurgie qui présentent les aïeux de Rastapopoulos) |
Le plus réjouissant dans tout cela est que ce voyage au XVIIIe siècle ne nécessite ni carburant, ni électricité ; seulement la force d’une double énergie renouvelable et millénaire : celle de la main qui tourne la page et de l’œil qui lit. © texte et illustrations villa browna / Valentine del Moral.
LES LIVRES QUI ONT PERMIS D’ÉCRIRE CETTE LORGNETTE sont en vente à la librairie:
Gayot de Pitaval, François.
Causes célèbres et intéressantes avec les
jugemens qui les ont décidées recueillies par M*** avocat au parlement.
Paris Chez Guillaume Cavelier, 1737-1741
20 vols in-12,
pleine basane brune. Dos à cinq nerfs, orné et doré. Pièce de titre et de
tomaison rouge. Tranches rouges avec signet. Chasses dorées. Incidents aux coiffes,
frottements.
L’ex-dono
figurant aux pages de titres a été systématiquement et très minutieusement
découpé. Quelques incidents aux feuillets sans gravité.
Exemplaire à
grandes marges. Rare série complète et en reliure homogène de ce premier
recueil connu de Causes célèbres. Recueil des plus réjouissants ne suivant
aucun ordre de sujet ou de date. Cela lui fut reproché autrefois. Cela nous
comble d’aise aujourd’hui. En savoir plus - commander.
Mémoires de l'Académie
royale de chirurgie.
Paris, Le Prieur et Delaguette, 1757-65.
15 volumes in-12, plein veau. Incidents aux coiffes, frottements.
Très nombreuses planches dépliables en très bon état. 4 frontispices identiques aux tomes 1, 4, 7, 10, par Cochin fils et représentant 3 personnages en habits romains dans un camp militaire. Une jeune femme à gauche, tenant à la main les Mémoires de l'Académie royale de chirurgie, en fait présent au Roi, sous le regard bienveillant d'une Minerve casquée. Le premier volume contient une dédicace au Roi signée de La Peyronie et une importante préface de F. Quesnay. En savoir plus - commander.
Paris, Le Prieur et Delaguette, 1757-65.
15 volumes in-12, plein veau. Incidents aux coiffes, frottements.
Très nombreuses planches dépliables en très bon état. 4 frontispices identiques aux tomes 1, 4, 7, 10, par Cochin fils et représentant 3 personnages en habits romains dans un camp militaire. Une jeune femme à gauche, tenant à la main les Mémoires de l'Académie royale de chirurgie, en fait présent au Roi, sous le regard bienveillant d'une Minerve casquée. Le premier volume contient une dédicace au Roi signée de La Peyronie et une importante préface de F. Quesnay. En savoir plus - commander.
BIBLIO
Christelle Rabier, « Vulgarisation et diffusion de la médecine
pendant la Révolution : l’exemple de la chirurgie* », Annales historiques de la Révolution
française, 338 | 2004, 75-94.
Extrait
de la préface de Jean-Paul Bouchon. Angélique
de la Motte, religieuse prétendue hermaphrodite. par M.
Richer