Intéressant pari que d’illustrer les Contes de la bécasse
de Maupassant. C’est en tous cas celui que lança le génial Maximilien
Vox à Pierre Falké au tout début des années 30. L’illustrateur l’accepta
et triompha ! L’entreprise, pour être légitime, demandait une sacrée
dose de jugeote. En effet, sous le prétexte d’un vieux baron qui ne
pouvait plus aligner deux pas sans crier aïe, mais qui refusait de se
priver de ses diners de chasse, Maupassant réinterpréta le gage
culinaire par le truchement d’une tête de bécasse que le bonhomme, comme
le veut la tradition « fixait sur une épingle, piquait l’épingle sur un
bouchon, maintenait le tout en équilibre au moyen de petits bâtons
croisés comme des balanciers, et plantait délicatement cet appareil sur
un goulot de bouteille en manière de tourniquet ». « Et le baron, d’un
coup de doigt, faisait vivement pivoter ce joujou ». La tête finissait
par s’arrêter, désignant du bec l'un des convives à qui revenait la joie
gourmande de boulotter à lui tout seul toutes les délicieuses têtes des
bécasses offertes au diner. Pour dédommager l’assistance, le veinard se
devait de raconter une histoire. Ce gage devenait donc le fil
conducteur du recueil de la même manière qu’en 1970 le gage du morceau
de pain tombé dans la fondue deviendrait sous la plume de Goscinny celui
d’Astérix chez les Helvètes. Ce fil conducteur permettait à
l’écrivain de coudre de fil blanc des histoires aux thèmes et aux
registres très différents, fil blanc que l’illustrateur allait devoir
interpréter par l’image.
QUELQUES LIGNES SUPPLÉMENTAIRES POUR CEUX QUI N’ONT PAS NON PLUS LE TEMPS (mais qui le prennent).
COUVERTURES DES CONTES DE LA BÉCASSE PAR FALKÉ |
![]() |
COUVERTURES DE ROBINSON CRUSOÉ |
![]() |
MAUPASSANT, MATHO, UN CONTEUR, SON CHIEN |
Or, si Maupassant a
su magistralement croquer son semblable dans ses misères et paradoxes,
il faut reconnaitre qu’il n’a que rarement trempé sa plume dans l’encre
empathique. Et si pour exprimer ses propres sentiments, il eut parfois
recours à la comparaison, il ne choisit pas de s’identifier à un autre
être humain : « Il fait si chaud en ce moment sous le soleil qui emplit
mes fenêtres ! Pourquoi ne suis-je pas tout entier au bonheur de ce
bien-être ? Certains chiens qui hurlent expriment très bien cet état.
C'est une plainte lamentable qui ne s'adresse à rien, qui ne va nulle
part, qui ne dit rien et qui jette dans les nuits le cri d'angoisse
enchaînée que je voudrais pouvoir pousser. Si je pouvais gémir comme
eux, je m'en irais quelquefois, souvent, dans une grande plaine ou au
fond d'un bois,
et je hurlerais ainsi durant des heures entières, dans les ténèbres. Il
me semble que cela me soulagerait... » [1]. Cette complainte canine est
toute entière reprise dans la Peur, une des nouvelles stars des Contes de la bécasse :
« alors, pendant une heure, le chien [de la maison dans laquelle le
narrateur s’était réfugié] hurla sans bouger; il hurla comme dans
l’angoisse d’un rêve; et la peur, l’épouvantable peur entrait en
[l'homme] ». Dans une autre nouvelle, Pierrot,
corniaud sans histoires est jeté dans un puits. On est glacé devant les choix successifs de sa maitresse
qui, à un moment donné, prise d’un remords passager va nourrir Pierrot
de morceaux de pain lancés de haut du trou. Le chien désormais invisible
aux protagonistes et au lecteur aboie gaiement à l’arrivée de
l’horrible dame, ne voyant que le bienfait, ne pouvant imaginer le
méfait. Le présupposé de Maupassant dans cette nouvelle se retrouve
parfaitement illustré dans une affiche récente concoctée pour la Fondation 30 millions d'amis, montrant un chien abandonné au regard tendre et étonné, ayant pour slogan « J'ai tellement peur que mon maître se soit perdu... ». Il faut bien reconnaître que « Maupassant
est secourable à tous ceux de ses semblables que tenaillent les
fatalités physiques, les cruautés sociales et les criminels hasards de
la vie, mais il les plaint sans les estimer et sa bonté observe des
distances. Par contre, le pessimiste a pour les animaux, que
dédaignèrent les Évangiles, toutes les tendresses bouddhistes. Quand il
plaint les bêtes qui valent mieux que nous,
leurs bourreaux, quand il
plaint les créatures élémentaires, les plantes et les arbres, ces êtres
exquis il s'abandonne et il épand son cœur. Plus la victime est humble
et plus généreusement il épouse sa douleur. Sa compassion est infinie
pour tout ce qui vit misérablement, se débat sans comprendre, « souffre
et meurt sans parler».» [2]
LA MAITRESSE DE PIERROT |
![]() |
MAUPASSANT CYNOPHILE |
Cependant, les Contes de la Bécasse
ne sont pas que noir ébène. Ce n’est pas qu’un catalogue de turpitudes
que Maupassant nous jette aux yeux. On y rit, on s’y étonne, s’y émeut,
s’y instruit. Connaissiez-vous seulement l’existence d’une pépinière au
jardin du Luxembourg, pépinière que par le percement de la rue de
l'Abbé-de-l’Épée, Haussmann raya allégrement de la carte ? « Vous ne
l'avez pas connue, vous autres, cette pépinière ? C'était comme un
jardin oublié de l'autre siècle, un jardin joli comme un doux sourire de
vieille. Des haies touffues séparaient les allées étroites et
régulières, allées calmes entre deux murs de feuillage taillés avec
méthode. Les grands ciseaux du jardinier alignaient sans relâche ces
cloisons de branches ; et, de place en place, on rencontrait des
parterres de fleurs, des plates-bandes de petits arbres rangés comme des
collégiens en promenade, des sociétés de rosiers magnifiques ou des
régiments d'arbres à fruit ». Dans cette charmille, Maupassant situe Le Menuet,
petite tragédie douce-amère saupoudrée de poudre de riz de nos aïeules. Dans une large forêt, il place une chasse à courre pendant
laquelle Joseph de Croissard brille devant Berthe d’Avancelles qu'il
désire depuis des mois. La belle lui a bien fait comprendre que "si
[elle doit] tomber, mon ami, cela ne sera pas avant la chute des
feuilles. [Elle a] trop de choses à faire cet été pour avoir le temps". Or, l'automne est là et bientôt Joseph accède au lit dans lequel...il s'endort sans autre forme de procès!
![]() |
QUELQUES-UNS DES CULS-DE-LAMPE |
![]() |
LAURA Preminger - UN FILS Maupassant - QUI A TUE VICKY LYNN Humberstone |
![]() |
CONTEURS EN PLEINE ACTION |
conteur apparait comblé : il lèche la main de celui-là, se fait caresser par ces autres-là, roupille dans le bras d’un fauteuil ou sous l’assise protectrice d’une chaise, s’épouille sans gêne ou halète, la babine remontée dans une ébauche de sourire. De quoi venger tous les Pierrot, et autres cabots martyrisés dont Maupassant rappela les vies de chien. L’écrivain, le 2 juin 1881 dans le journal Le Gaulois, relayait l'appel de la SPA à créer un «asile pour les bêtes». «Ce serait là une espèce d'hospice où les pauvres chiens sans maître trouveraient la nourriture et l'abri au lieu du nœud coulant que leur réserve l’administration ». Guy de Maupassant finira lui dans un « asile pour bêtes », la clinique du docteur Blanche, installée depuis 1846 à Passy, dans l’ancien hôtel de la princesse de Lamballe qui en quelque sorte annonçait la destination prochaine de sa maison en perdant la tête, tranchée en 1792 et baladée au bout d’une pique.
© V. del Moral |villa browna
[1] Fragment publié par Pol Neveux dans la préface des œuvres complètes aux éditions Conard.[2] préface de Pol Neveux.
LE LIVRE QUI A PERMIS D’ÉCRIRE CETTE LORGNETTE est en vente à la librairie:
Guy de Maupassant, Contes de la bécasse. Bois de Pierre Falké.
Paris, Librairie Plon, 1931.
In-4, en feuilles sous chemise titrée et emboitage en suédine verte.
Tirage limité à 235 exemplaires numérotés, celui-ci sur vélin d’Arches à la forme.
72 bois originaux en couleurs de
Pierre Falké, dont un sur la couverture, un frontispice et 70 in-texte.
Mise en page élégante supervisée par Maximilien Vox. En savoir plus. Acheter le livre