JUSTE QUELQUES LIGNES POUR CEUX QUI SONT PRESSÉS. (C’est
dommage : dans la suite du texte, on danse à la Closerie des Lilas, on va
au bal corsaire de Guy Arnoux, on s’étonne de la ressemblance de la Goulue et
de Miley Cyrus, on danse le « Rops and roll », on investit le Bal des
invertis).
André Warnod, que le sort destina à être journaliste, passa le
plus clair de sont temps de jeune homme à dessiner dans la rue, à croquer ses
semblables, attablé aux terrasses des cafés, ces miradors parisiens
d’excellence. Suivant des yeux ses congénères, il ne dédaigna pas leur emboiter
le pas jusque dans les bals parisiens de Montmartre et d’ailleurs. Et c’est par
la plume et le crayon qu’il fixa sur papier en 1922 ses souvenirs, ses
enquêtes, sa science enfin des Bals de
Paris. La page de titre tournée, on tombe sur une dédicace imprimée :
« À Roland Dorgelès, mon vieil ami ». À mon poteau Roro imprimé sur page blanche reste un témoignage
amical moins périlleux que le serment amoureux, A ma nana Nénette tatoué sur l’épaule. Dans le cas de Warnod et
Dorgelès, l’hommage était d’autant moins risqué que plus de dix ans d’amitié,
quatre ans de guerre et un canular de belle envergure avaient durablement soudé
les deux hommes (1).
QUELQUES LIGNES SUPPLÉMENTAIRES POUR CEUX QUI N’ONT PAS NON PLUS
LE TEMPS (mais qui le prennent).
Pour ce qui est du canular artistico-zoologique, si vous avez en tête l’épisode du vol de la Joconde, vous ne pouvez que connaitre celui-ci : Warnod et Dorgelès, suités de quelques aminches et précédés d’un huissier firent peindre, en mars 1910, à Joachim-Raphaël Boronali, alias Lolo l’âne du lapin agile, son fameux et unique chef d’œuvre : Coucher de soleil sur l’Adriatique. Annoncé par un manifeste tonitruant, il fut présenté dans la foulée au Salon des Indépendants. Les deux potaches voulaient juste taquiner le cube et l’impression et par la même occasion un peu Apollinaire. Leurs desseins furent dépassés : les visiteurs se précipitèrent pour l’admirer et le tableau fut acheté un pont d’or.
Pour ce qui est du canular artistico-zoologique, si vous avez en tête l’épisode du vol de la Joconde, vous ne pouvez que connaitre celui-ci : Warnod et Dorgelès, suités de quelques aminches et précédés d’un huissier firent peindre, en mars 1910, à Joachim-Raphaël Boronali, alias Lolo l’âne du lapin agile, son fameux et unique chef d’œuvre : Coucher de soleil sur l’Adriatique. Annoncé par un manifeste tonitruant, il fut présenté dans la foulée au Salon des Indépendants. Les deux potaches voulaient juste taquiner le cube et l’impression et par la même occasion un peu Apollinaire. Leurs desseins furent dépassés : les visiteurs se précipitèrent pour l’admirer et le tableau fut acheté un pont d’or.
C’est qu’en ce temps-là, quand on voulait
s’amuser, on ne faisait pas les choses à moitié. Guy Arnoux, ce charmant
illustrateur au large trait et aux couleurs franches ne le prouva-t-il pas aux
travers des bals de corsaires qu’il organisa ? Le premier se tint dans son
atelier de la rue Visconti en 1910 : invités par un carton imité dans le
livre, on ne pouvait « monter à son bord » qu’en habit de 1791 et en
graissant la patte on ne sait comment à un « farouche sans-culotte »
qui montait la garde sur le pont-palier. Une fois tout le monde réuni sous la
lumière de lanternes sourdes, on entama un abordage de première catégorie, puis
on coupa au sabre saucissons et miches de pain, on s’enivra à coup de bulles de
champagne et de cidre avant que la musique accompagne la joyeuse compagnie
ondoyante jusque dans la rue. Le sésame « Bal de peintres » suffisait
alors à ouvrir toutes les artères et à dérider les agents de police. J’imagine
juste un instant faire la même chose samedi prochain…Indiscutablement
inconcevable.
Songeuse, je retourne à la lecture des Bal de Paris de Warnod. Dans une émission de télévision de 1963,
Dorgelès, son compère, utilisa une formule qui explique la Butte d’avant 14 et
incidemment l’attrait qu’ils connurent pour les bals : « [A
Montmartre], notre destinée était ainsi tracée dès le début entre les
cimetières et un bal ». Et si Warnod commence bien évidemment par évoquer
les bals de son quartier, il poursuit en évoquant ceux, célèbres, indémodables,
zigouillés ou moribonds qui égayèrent la capitale. Puis il rentre dans le vif
du sujet en détaillant les bals qu’il connut avant-guerre, ceux qui
refleurirent après guerre et les nouveaux dancings, danseurs, danses, mœurs
chorégraphiques à la mode de 1922.
Il rend hommage à plusieurs reprises à un
ouvrage d’Alfred Delvau, «son précieux petit ouvrage Les Cythères parisiennes», que par une heureuse coïncidence, nous
avons également sous la main. Il est très amusant de comparer le chapitre que
Delvau en 1864 et Warnod en 1922 consacrent à la Closerie des Lilas. Si Warnod
pioche gaillardement dans les souvenirs de Delvau, un glissement de point de
vue s’est opéré entre celui qui a vécu les anecdotes qu’il rapporte et celui
qui rappelle des temps bénis qu’il n’a pas connu. Les deux représentations de
l’endroit sont jumelles de composition, mais celle de Warnod est esquissée,
comme si la Closerie de Delvau s’estompait, effacée lentement par le temps qui
passe et brouillée par les nouveaux clients. Mais l’emprunt n’est jamais
servile et dans les chapitres consacrés aux bals nouveaux, on saisit toute la
justesse et l’intelligence de l’œil de Warnod qui auraient pu nous échapper
lors de notre visite de la Closerie. Bon garçon, Warnod conclut ce chapitre en
affirmant que « les bibliophiles (dont il fait visiblement partie) gardent
jalousement [le livre de Delvau], autant pour le texte que pour les eaux-fortes
de Rops qui l’illustrent ».
Et de fait, si Warnod fut au four et au moulin
puisqu'il écrivit et illustra son recueil de ses propres croquis
tourbillonnants, Delvau, lui, s' adjoignit les services de Félicien Rops dont
il fut le découvreur pour la France. Rops, au début des années 1860, prêta
volontiers ses talents d’aquafortiste à Delvau : pour ses Histoire
anecdotique des Cafés et Cabarets de Paris ; son Dictionnaire érotique moderne et donc
pour les Cythères parisiennes. C’est
sans doute d'ailleurs leur collaboration la plus aboutie puisqu’on y trouve un
frontispice et 24 eaux-fortes tirées sur japon figurant les lieux, ceux qui y
dansent ; ceux qui s’y montrent. Certain profil, certaine silhouette
évoquent furieusement la Passante de
Baudelaire… Or, un an plus tard, en 1863, Delvau mettra en pays de connaissance
son protégé et Poulet-Malassis, l’éditeur de Baudelaire pour Les Épaves duquel, en 1866, Rops gravera
un frontispice. Il n’y a pas de hasard, il n’y a que des coïncidences. Mais
ceci est une autre histoire.
