JUSTE QUELQUES LIGNES POUR CEUX QUI SONT PRESSÉS. (C’est dommage : dans la suite du texte, on cambre les reins, on se familiarise avec une rondelle miraculeuse, le massé et le procédé).
Antoine
Lalanne, greffier de son état, supportait jour après jour «ces avocats
qui prolongent trop les débats». On l’aurait plaint volontiers le brave
homme et puis c’aurait été tout. On l’aurait vite oublié pour reporter
nos lamentations sur l’objet favori de toutes nos attentions, à savoir
nous-mêmes. Et nous aurions eu doublement tort, d’abord parce
que
Lalanne avait un frère graveur et ensuite parce que ce scribouillard
était un émérite queutard. N’écarquillez pas les yeux ainsi, ne nous
égarons pas, arrêtez de glousser et entendez-moi bien : Lalanne,
fonctionnaire de la cour impériale de Bordeaux, jouait furieusement au
billard, voilà tout. Il l’avait tellement chevillé au corps ce
passe-temps qu’il finit par y consacrer une plaquette de 22 pages
réunies sous le titre laconique de Le Billard et illustrées de deux eaux-fortes de Maxime Lalanne.

QUELQUES LIGNES SUPPLÉMENTAIRES POUR CEUX QUI N’ONT PAS NON PLUS LE TEMPS (mais qui le prennent).

Il l’est d’autant plus, une fois qu’on a lu l’avant-propos et le poème primesautier qu’annonce cette charmante page de titre. L’auteur s’y fait tout d’abord gentiment cocardier en se demandant « d’où nous vient ce jeu ? On n’en sait rien. Mais il est trop récréatif, trop ingénieux, pour qu’il n’est pas une origine française ». Puis, il s’improvise cartomancien et prédit que « le temps n’est pas éloigné où, à l’égal du piano, le Billard occupera sa place dans la maison du père de famille ».
Puis Lalanne se met à rimer les attitudes, les gestes, les couleurs, les virtuosités du billard. Avant tout, le billard est ainsi fait «qu’il faut toujours que le joueur / Prenne une pose sans raideur / Qu’il ait du tact, de la prestesse, / Du dégagé, de la souplesse / Le coup d’œil sûr du bon chasseur, / Un esprit vif et de l’adresse». Pas embarrassé pour un sou par la contrainte de la rime, il décrit à plusieurs endroits des coups de carambole, le «coup sec [qui] fait rester en place», le coup bridé avec lequel il n’ y a «point de glissade, / On recule … pour avancer», ou encore le hasardeux coup de la «bille forcée [qui] / frappe la bande par sept fois , / arrive au but, et, relancée, / Toute fière, toute empressée, / Poursuit le cours de ses exploits».
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De la prestesse, du dégagé... |
Avant d’achever son aimable pochade, Antoine Lalanne, voulant prouver la supériorité sans partage du billard, le
compare au whist et au boston. Le graveur reprend à son compte la comparaison et donne une eau-forte
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partie de whist suicidaire |
Enfin et pour finir de nous convaincre, l’auteur met une cerise sur le gâteau, une bille rouge sur le tapis vert. Il nous donne l’assurance d’un «jeu par lequel on digère et qui fait naître l’appétit ». CQFD ! Il n’y a donc aucun mouron à se faire. Le billard est un jeu d’intellect ET de gambettes. Sa pratique est pleinement justifiée par «son utilité pour le corps qu’il exerce, pour l’intelligence dont il entretient les facultés, pour l’âme qu’il délasse, sans éveiller en elle ce qu’on nomme justement la fatale passion du jeu». Sans éveiller la passion du jeu...Candide Lalanne ! Laissons-le en paix. N’évoquons qu’à voix basse Eddie le Rapide l’arnaqueur de billard américain, incarné au cinéma en 1961, par Paul Newman qui plumait ses adversaires en jouant maladroitement les premières parties et qui rêvait de battre le champion Minnesota Fats. Dieu sait pourtant qu’Eddie-Newman avait la prestesse, le dégagé, la souplesse, le coup d’œil sûr qui plaisaient tant à Antoine Lalanne ! Où va le monde mon bon monsieur ? Je vous le demande. © texte et photos villa browna | Valentine del Moral.
LE LIVRE QUI NOUS A PERMIS D’ÉCRIRE CETTE LORGNETTE est actuellement en vente à la librairie:

Antoine LALANNE Le Billard par A. Lalanne, greffier à la Cour impériale de Bordeaux, avec eaux-fortes.
Paris, Aug. Aubry, 1866. Plaquette in-8. Titre gravé, 22, [2] pp., deux planches hors-texte. Rare
ouvrage sur le billard vantant le jeu, détaillant les coups, rendant
hommage à deux joueurs de légende. Le titre et deux planches sont gravés
par le frère de l’auteur, le grand aquafortiste Maxime Lalanne.
Béraldi, Les graveurs du 19e siècle; guide de l'amateur d'estampes modernes - La Gascogne Littéraire, Slatkine, 1970, pp.176 - Auguste Aubry, Bulletin du bouquiniste, 1866, pp.805 - Fédération fçe de billard http://fr.scribd.com/doc/3479508/8/S%E2%80%99initier-au-masse .