Tout ça a commencé comme une attaque de train dans
un western. Nous étions en 1848. La révolution qui bouillait à gros bouillons à
Paris, déborda jusqu’à la gare d’Enghien. Les émeutiers qui réclamaient la
république, réclamèrent en passant la recette du jour. Le chef de gare, un
certain Antoine Bisetzky, aussi droit dans ses bottines que le sheriff Will Kane dans les siennes, décida d’agir avec
la discrétion d’un sioux en mocassins. Il planqua le magot, pipota les
chercheurs d’or qui repartirent les mains vides.
Flûte, alors!
C’est que, pipoter, Bisetzky savait faire. Enfant, il avait été virtuose de flûte traversière et en 1832 – il avait quinze ans - dans la Revue Musicale, on reconnaissait qu’il avait « bien mérité le second prix qui lui a été accordé bien qu’il sembla qu’il y avait quelque injustice à le lui faire partager avec M. Bannières dont le jeu a moins de netteté et le son moins de puissance ». Mais voilà, Bisetzky avait une petite santé et il lui fallut renoncer à souffler dans l’embouchure. Il s’en trouva mieux inspiré que Boris Vian à qui, quelques cent ans et des poussières plus tard, on préconisa aussi d’arrêter de souffler dans sa trompinette. Boris n’en fit qu’à sa tête jusqu’à ce que son cœur lâche. Tony écouta la Faculté et se retrouva bombardé en 1859, chef de la toute nouvelle gare de Chantilly qui venait d’ouvrir.
Bisetzky, chef de gare à vous! |
Flûte, alors!
C’est que, pipoter, Bisetzky savait faire. Enfant, il avait été virtuose de flûte traversière et en 1832 – il avait quinze ans - dans la Revue Musicale, on reconnaissait qu’il avait « bien mérité le second prix qui lui a été accordé bien qu’il sembla qu’il y avait quelque injustice à le lui faire partager avec M. Bannières dont le jeu a moins de netteté et le son moins de puissance ». Mais voilà, Bisetzky avait une petite santé et il lui fallut renoncer à souffler dans l’embouchure. Il s’en trouva mieux inspiré que Boris Vian à qui, quelques cent ans et des poussières plus tard, on préconisa aussi d’arrêter de souffler dans sa trompinette. Boris n’en fit qu’à sa tête jusqu’à ce que son cœur lâche. Tony écouta la Faculté et se retrouva bombardé en 1859, chef de la toute nouvelle gare de Chantilly qui venait d’ouvrir.
La tchou-tchou set,
ancêtre de la jet set
Outre les 3000 francs d’appointements, le poste brillait
des mille feux de la jet set – ou devrait-on dire de la tchou-tchou set – qui
n’en finissait pas de trainer ses guêtres et ses corsets à Chantilly pour y pratiquer
le plein air à la page, la chasse à
courre et les courses de chevaux.
Or, le chef de gare musicien qui, nous l’avons vu, avait un certain à-propos, fut une fois encore l’homme de la situation. Bien mis et bien élevé, il fraya bientôt avec le Tout-Paris qui se déversait sur son quai. Et comme les muses n’avaient pas été vachardes avec lui, il les charma, non plus avec sa flûte, mais avec ses crayons. Son talent de dessinateur s’épanouit dans l’aimable portrait-charge, discipline qui nécessitait un sérieux doigté. Pas commode d’égratigner poliment. Encore moins d’arriver à se faire prier par les égratignés eux-mêmes de faire publier les dites caricatures. Or, c’est ce qu’il advint en 1866. L’une après l’autre, elles paraissent le 10 du mois.
Or, le chef de gare musicien qui, nous l’avons vu, avait un certain à-propos, fut une fois encore l’homme de la situation. Bien mis et bien élevé, il fraya bientôt avec le Tout-Paris qui se déversait sur son quai. Et comme les muses n’avaient pas été vachardes avec lui, il les charma, non plus avec sa flûte, mais avec ses crayons. Son talent de dessinateur s’épanouit dans l’aimable portrait-charge, discipline qui nécessitait un sérieux doigté. Pas commode d’égratigner poliment. Encore moins d’arriver à se faire prier par les égratignés eux-mêmes de faire publier les dites caricatures. Or, c’est ce qu’il advint en 1866. L’une après l’autre, elles paraissent le 10 du mois.
De la bibliothèque d’un veneur bibliophile
Ces douze
portraits-charge, nous les découvrons en ouvrant le grand album dans lequel
elles ont été montées sur onglet. Ils sont farcis de tant de d’allusions et de
détails croustillants que nous ne pourrons pas ici les décrire à l’envi. Nous
devrons nous contenter d’en brosser les grandes lignes.
Les plats de
l’album ont été frappés en leur centre des armes du marquis de Vatimesnil, maître
d’équipage normand et bibliophile entreprenant
qui, on le sait, posséda une belle bibliothèque de chasse. Ce n’est pas
un hasard s’il collectionna ces caricatures et qu’il les fit relier en album puisqu’on
y dénombre plus d’un tiers de chasseurs et non des moindres, ainsi qu’une belle
poignée de turfistes distingués.
Taïauts rigolos
Chez les veneurs, citons le vicomte de la Poëze, à la ville
administrateur du canal du Midi versé dans le bizness des chemins de fer, à la campagne
veneur enragé. On connait une saisissante paire d’aquarelles figurant Raoul et
son frère René, chassant de belle façon le
sanglier et le chevreuil. Pour sa
part, Bisetzky le représente caracolant sur un lièvre mahousse, le cigare
fermement coincé entre les dents. Au loin, un cerf au bat-l’eau sonne de la
trompe. Le caricaturiste a croqué une autre pointure de la vénerie, le comte
d’Osmond, la main gauche – ou ce qu’il en reste - enfoncée dans la poche. A
l’âge de 21 ans, le jeune veneur qui venait de monter un petit équipage pour
courre cerf et daim chez ses parents à Pontchartrain, perdit sa main en
chassant mais non pas son amour pour Diane qu’il continua à courtiser sa
vie durant, au point même de lui consacrer plusieurs livres. Julie avait eu sa Guirlande. Diane eut, grâce à lui, ses Hommes des bois. Or, l’écrivain était
aussi musicien à ses heures et c’est en Orphée cynégétique que Bisetzky s’est
amusé à le peindre. Une trompe à la bouche, une mandoline dans le dos, Osmond vient
visiblement de sonner le rappel des chiens… du sanglier qui forment pour l’occasion
une ronde autour de lui, lassés sans doute de jouer aux chasseurs et aux chassés. "Promenons-nous dans les bois, pendant que le loup y est pas"!
Un Hédouville pour
la ville
Mais c’est peut-être le nom de Hédouville qui
devrait passer en boucle dans les haut-parleurs de la gare de Chantilly. Le
garçon, veneur à 110%, fut le fondateur en 1850 de la Société de chasse de
Chantilly qu’il présida deux ans. S’y retrouvèrent, les meilleurs sportsmen de
l’époque dont le comte de Berteux et le vicomte de la Poëze,
tous deux figurant également dans l’album. Le Figaro du 24 février 1867 qui annonce
que « l'Album comique du monde sportif entrepris par le fin crayon de M. Bizetsky, continue son succès », considère
que son « M. de Hédouville, en héron, est fort réussi. ». Pourquoi, me
direz-vous, Bisetzky a-t-il choisi de le figurer en héron lui qui était
veneur ? Et bien tout simplement parce que l’homme était aussi chasseur à
tir et qu’il été connu pour être fort grand et fort maigre. « D'après ses
contemporains, lit-on dans sa notice nécrologique parue dans Le sport, le comte de Hédouville
rendait, sur le plan physique, la silhouette exacte de Don Quichotte,
personnage en qui il se déguisait lors des bals masqués. « La forêt de
Chantilly n'avait pas un buisson qu'il n'ait fouillé derrière les chiens de sa
vénerie » y lisait-on plus loin. Hédouville fut monta à cheval jusqu'à sa
mort, s’amusant à constater : « Tous mes amis qui ont cessé de monter à
cheval sont morts depuis vingt ans. Le cheval conserve ». Cette vie d’extérieur
ne l’empêcha pas d’être homme de salon, bienfaiteur à ses heures, co-fondateur du Jockey club et démiurge des
courses. C’est à lui que l’on doit en grande partie l’hippodrome de Chantilly.
Piliers d’hippodrome
Vers 1833 en effet, « une société de jeunes
sportsmen qui entouraient les princes de la famille d'Orléans se rendait
parfois à Chantilly pour y courir le cerf.
Un soir, MM. de Plaisance, de Wagram, de Labanoff et d'Hédouville, au retour d'une randonnée à travers
la forêt, convinrent, parvenus au bord de la pelouse, de lancer leurs chevaux
jusqu'au château, afin d'éprouver, après les fatigues de la journée leurs
qualités de fond et de vitesse. Lorsque les cavaliers se retournèrent pour
embrasser l'espace qu'ils venaient de parcourir si tacitement :
— Quel magnifique hippodrome l'on ferait sur ce vaste emplacement, dont le sol semble rebondir! dit le comte de Hédouville.
— Excellente idée ! répartit le prince Labanoff.
A quelque temps de là, les courses de Chantilly furent instituées qui attirèrent le Paris chic jusqu’en banlieue. Bisetzky piqua dans le tas quelques figures à croquer : Achille Fould, financier et ministre, qui forma avec son frère un binôme de premier rang, alignant en 1867, pas moins de seize chevaux qui leur rapportèrent la coquette somme de 174 000 fr. Ils furent cependant largement devancés par Lagrange, comte et centaure qui, la même année, présenta quarante et un chevaux et remporta 598 000 francs. Rien de plus normal pour ce sportsman ayant à son actif deux chevaux vainqueurs au Derby d'Epsom. Bisetzky fit également les honneurs de sa galerie de portraits-charge au duc d’Hamilton. Il n’hésita pas à faire chevaucher au gros garçon un éléphant que nous surprenons au moment où , après l’avoir bien secouée de la trompe, fait exploser une bouteille de champagne à la manière des vainqueurs de courses automobiles.
Bien que fils du onzième duc de Hamilton et de Marie-Amélie de Bade, petite fille adoptive de Napoléon Bonaparte, bien qu’ancien élève d’Eton et de Christ Church à Oxford, il « avait, dit-on, une franchise de langage frôlant l'impolitesse ». Et une largesse frôlant la bêtise. Mais, grâce aux dieux, à Chiron et Pégase, en 1867, alors qu’il était au bord de la ruine financière, son cheval Cortolvin, contre toute attente, remporta le grand National. Outre des gains substantiels, il prit quelques 16 000 £ aux bookmakers, rétablissant ainsi sa fortune.
— Quel magnifique hippodrome l'on ferait sur ce vaste emplacement, dont le sol semble rebondir! dit le comte de Hédouville.
— Excellente idée ! répartit le prince Labanoff.
A quelque temps de là, les courses de Chantilly furent instituées qui attirèrent le Paris chic jusqu’en banlieue. Bisetzky piqua dans le tas quelques figures à croquer : Achille Fould, financier et ministre, qui forma avec son frère un binôme de premier rang, alignant en 1867, pas moins de seize chevaux qui leur rapportèrent la coquette somme de 174 000 fr. Ils furent cependant largement devancés par Lagrange, comte et centaure qui, la même année, présenta quarante et un chevaux et remporta 598 000 francs. Rien de plus normal pour ce sportsman ayant à son actif deux chevaux vainqueurs au Derby d'Epsom. Bisetzky fit également les honneurs de sa galerie de portraits-charge au duc d’Hamilton. Il n’hésita pas à faire chevaucher au gros garçon un éléphant que nous surprenons au moment où , après l’avoir bien secouée de la trompe, fait exploser une bouteille de champagne à la manière des vainqueurs de courses automobiles.
Bien que fils du onzième duc de Hamilton et de Marie-Amélie de Bade, petite fille adoptive de Napoléon Bonaparte, bien qu’ancien élève d’Eton et de Christ Church à Oxford, il « avait, dit-on, une franchise de langage frôlant l'impolitesse ». Et une largesse frôlant la bêtise. Mais, grâce aux dieux, à Chiron et Pégase, en 1867, alors qu’il était au bord de la ruine financière, son cheval Cortolvin, contre toute attente, remporta le grand National. Outre des gains substantiels, il prit quelques 16 000 £ aux bookmakers, rétablissant ainsi sa fortune.
Ici, il y a gâchis
Léon de Berteux qui était– on l’a vu – veneur, fut
également turfiste heureux. Etre le beau-frère du comte Fernand Foy, le
fondateur du haras de Barbeville aidait sans doute la chance, néanmoins, avec Cambyse, il gagna tout de même, en casaque
verte et toque rouge, deux prix de renom, le Prix d’Ispahan et le Prix de la
Neva, futur… Prix Berteux. Étrangement, Bisetzky décida de représenter ce
sportsman accompli, le cigare à la bouche, revêtu des atours chatoyants du
faisan, debout devant un piano, un paquet de cartes à jouer épars sur une table
proche, des bouteilles de champagne au frais et à ses pieds. On distingue bien
en arrière-plan du dessin des chevaux de courses lancés au plein galop, mais
pour Bisetzky, ici, il y a visiblement gâchis. Il écrit : « M. de
Berteux est un excellent musicien ; assis devant un piano, il charme ses
auditeurs, et, si, au lieu d’être un homme du monde, indépendant par sa
fortune, il était un artiste lancé dans les concerts, il aurait une réputation distinguée. »
Voilà qui est dit. La nostalgie musicale prend de temps à autres notre trublion
de gare qui croque alors ses amis artistes, Henri Fritsch, gros nounours moustachu, professeur de piano de
Senlis ou Thomas
Couture, cet autre Senlisien que la Décadence
des Romains avait rendu célèbre.
Du rail à la fibre
Ces douze portraits-charges vaudraient que l’on s’y arrête bien plus longtemps que nous venons de le faire. Las ! Le XXIe siècle n’est pas le bon siècle pour s’y complaire : du rail, nous sommes passés à la fibre et la vitesse, de débonnaire, elle a viré éclair. Et dire qu’en haut de chacune de ces caricatures, des armoiries fantaisistes attendent qu’on les détaille. Elles sont piquantes. N’en citons qu’une avant de vous laisser repartir vaquer à vos occupations.
Ce sont celles du comte de Berteux. Le blason familial devrait être écartelé, aux 1 et 4 coupé-denché de gueules sur argent ; aux 2 et 3 d'argent, au chevron d'azur, accompagné de trois lis au naturel, tigés et feuillés de sinople, flanqué à l’occasion de deux lions qui le soutiennent. Or, Bisetzky a renvoyé les lions dans leur savane, les remplaçant par deux lièvres, l’un chasseur à tir, l’autre chasseur à courre qui, parfaitement irrévérencieux, tapent le carton sur l’assise du blason. En dessous, une devise que Bisetzky a librement interprétée. Le célèbre « fortes fortuna juvat » - « la fortune sourit aux audacieux » - est devenue « la fortune sourit aux joueurs »… « La fortune sourit aux joueurs » ! Nous dirions même plus, en refermant l’album, « la fortune sourit aux joueurs de flûte traversière ».
Ces douze portraits-charges vaudraient que l’on s’y arrête bien plus longtemps que nous venons de le faire. Las ! Le XXIe siècle n’est pas le bon siècle pour s’y complaire : du rail, nous sommes passés à la fibre et la vitesse, de débonnaire, elle a viré éclair. Et dire qu’en haut de chacune de ces caricatures, des armoiries fantaisistes attendent qu’on les détaille. Elles sont piquantes. N’en citons qu’une avant de vous laisser repartir vaquer à vos occupations.
Ce sont celles du comte de Berteux. Le blason familial devrait être écartelé, aux 1 et 4 coupé-denché de gueules sur argent ; aux 2 et 3 d'argent, au chevron d'azur, accompagné de trois lis au naturel, tigés et feuillés de sinople, flanqué à l’occasion de deux lions qui le soutiennent. Or, Bisetzky a renvoyé les lions dans leur savane, les remplaçant par deux lièvres, l’un chasseur à tir, l’autre chasseur à courre qui, parfaitement irrévérencieux, tapent le carton sur l’assise du blason. En dessous, une devise que Bisetzky a librement interprétée. Le célèbre « fortes fortuna juvat » - « la fortune sourit aux audacieux » - est devenue « la fortune sourit aux joueurs »… « La fortune sourit aux joueurs » ! Nous dirions même plus, en refermant l’album, « la fortune sourit aux joueurs de flûte traversière ».