dimanche 17 janvier 2016

GAF le gaffeur




#EnBref, #PourCeuxQuiNontPasLeTemps

Une nouvelle #lorgnette sur un #LivreAncien par la #VillaBrowna.
Un album tout en #couleurs très #British paru au #tournantDuSiècle.
Ecrit et dessiné par #GeorgeAlgernonFothergill dit #GAF.
On y fume des #cigarettes, on y #chasse, on y cause #Fashion.
D’anciens élèves de #Cambridge s’y cassent beaucoup la #margoulette mais toujours tirés à quatre #épingles.

Pour ceux qui n’ont pas non plus le temps mais qui le prennent quand même!



Sirène du comté de Durham
  Il n’y a peut-être pas qu’en Grande-Bretagne que l’on trouve des gugusses de l’acabit de Fothergill, mais l’excentrique Albion en produit tout de même un sacré paquet.
   Voilà un homme qui, à  la fin du XIXe s., fait sa médecine à l’université d’Edinburgh, devient médecin et s’installe à Darlington dans le comté de Durham au nord-est de l'Angleterre. Tout semble donc  under control jusqu’à ce qu’il réponde à l’appel des sirènes, j’ai nommé la trépidante et très mondaine vie sportive du patelin. George fait alors  valser son stéthoscope et se met à furieusement tailler ses crayons et ses plumes. Il veut, il va devenir le mémorialiste des sportsmen, ses nouveaux dieux.

On se bouscule au portillon de son cabinet. Mais le bon médecin n’y est plus. Bon joueur de tennis, il est vu en train de taper la balle. Un rien archéologue, il se met à gratter ici et là. Pour suivre ses idoles, il enfourche un bon hunter et chasse le renard. Résultat des courses, en 1908,  à peine 10 ans après s’être installé, il est contraint de se déclarer en faillite. Il disparaît de la circulation laissant des ardoises à droite à gauche, essentiellement chez les éditeurs.


    Et pour cause. Des initiales de son nom G.A.F.,  George Algernon Fothergill avait fabriqué son nom de plume, donné des caricatures à Vanity Fair et fait publier quelques ouvrages, dont cet enthousiasmant Old Raby Hunt Club album. Les 63 lithographies qui le compose sont d’une grande qualité, transcrivant fidèlement le visage et les silhouettes de chaque cavalier et, dans le même temps, réussissant à leur donner un je-ne-sais-quoi de spirituel qui trahit le caractère de chacun. Passons sur l’historique du club. Résumons-le à l’irrépressible besoin des chasseurs de refaire le monde cynégétique, de choquer leurs verres à whisky et leurs pintes de bières tièdes et de fumer en agréable société.

   C’est réjouissant de voir comme GAF psychote sur les habitudes tabagiques des gentlemen qu’il portraiture dans ce grand album in-folio. Autant le dire tout de suite, il trouve suspect que certains d’entre eux ne fument pas. Il lui semble par exemple curieux que le capitaine Sheldon William Keith Cradock, “Shel” pour les intimes, ne fume pas alors qu’il est tout à fait capable d’apprécier une bonne bouteille de vin rouge (1). Bah ! Shel n’en est pas à un paradoxe près puisqu’il est aussi bien capable de chasser le tigre en Inde que de jouer paisiblement à un jeu de cartes en Angleterre. En tous cas, aux yeux de GAF, il est de bon ton d’aimer fumer « hard ». Priser dans le seul but de se faire éternuer (2), passe à la rigueur. Et quand on surprend Charles Henry Backhouse téléphoner dans son hall, le combiné dans une main, un clope dans l’autre, on ne peut s’empêcher de penser que les conseillers de Downtown Abbey ont fait preuve d’une bonne dose de politiquement correct puisque, certes, on y téléphone dans le hall mais que le tabac y est proscrit, comme d’ailleurs dans la plupart des scènes de la série.

Downtown Abbey? Politiquement correct
Dans les textes savoureux qui accompagnent ses portraits, GAF donne aussi des indications de généalogie, précise les possessions terriennes de ses modèles et indique leur métier, mais uniquement quand cela rajoute du sel à ses évocations. Il insiste par exemple sur la carrière militaire de Charles Michell qui, cela dit en passant, « smokes just a little ». Il faut dire que ce captain des King’s Royal rifles participa à la remuante capture du turbulent Cetewayo, avant-dernier roi du Zoulouland. Aux murs du militaire, un bouclier africain hérissé de lances voisine une queue de renard. Michell arbore de classiques knickers à carreaux. Mais le revers de ses chaussettes présente un motif à losange plus exotique.    

Cetewayo versus Michell
GAF affectionne les célibataires et les hommes mariés, à condition qu'ils le soient  à des sportswomen. Gurney Pease a la chance d'avoir épousé la femme ad hoc: Mrs Pearse chasse et chérit à l’égal de mari, chiens et chevaux. De son côté, poor « Charlie » - non pas Brown mais Hunter – a trois filles, mais grâce à Dieu,  toutes trois sont de fieffées chasseresses. Quant à l’état marital des autres, il est somptueusement passé à l’as.



   
Poloboy
Sugarman
Si GAF indique le lieu des études, Oxford, et le plus souvent Cambridge qui est moins
éloigné du comté de Durham, c’est surtout pour énumérer les sports que les sportsmen y ont pratiqués : football, cricket, gymnastique, tennis et polo. Même cette grande perche d’Herbert Pike Pease s’entêta à donner des jambes, monté sur de trop petits doubles poneys de polo (3).

    Au travers de ces courts textes mi-sérieux, mi-espiègles, on sent le profond amour de tous ces gaillards pour leur morceau d’île, pour la chasse, la campagne, leurs chevaux et bien sûr leurs chiens. Il faudrait même plutôt parler de monomanie canine, de celle qui pousse “Jed” Backhouse à distribuer tous les jours plus d’un demi-kilo de sucre à ses « chiots de chasse, ses caniches, ses terriers et sa whippet ». A voir ce Sugarman vêtu à la croque-mort, cela ne nous serait pas venu naturellement à l’esprit. Herbert Straker lui, exige que dans la salle à manger, le matin, soit dressée une table d’appoint où tous les restes du petit-déjeuner est  immédiatement servi aux chiens de la maison. Lucky ones ! Et on ne parle pas de Willy Wharton qui a fait empailler les têtes de ses meilleurs chiens dont Workman au nez anormalement court. Il avait été mordu au chenil par une mère furibarde, ce qui ne l’empêcha pas de devenir un « worker » hors-pair et de finir accroché aux murs de Willy.

Même pas mal!

   Les accidents n’épargnent ni les animaux ni les hommes du Raby Hunt. George Roper perd son œil droit à la chasse en 1872.  Mais -même pas mal !- il continue à chasser, jouer au billard et au golf.  La veille de recevoir GAF qui vient faire son portrait, lord Henri Vane-Tempest se casse la binette de jolie façon. Mais il ne décommande pas –même pas mal !-,  se contentant de recevoir l’illustrateur assis dans un fauteuil. Rappeler qu’à toute chaise (4), il a toujours préféré une bonne selle bien lustrée, c’est montrer tout son self-control. Le docteur de Willy Wharton (qui n’était évidemment pas GAF) lui interdit de monter à cheval pendant la saison 1892-93 ? Qu’à cela ne tienne –même pas mal - il chassa le renard à pied, fort de sa science cynégétique et de son endurance hors du commun. Idem pour le major G. Hodgson, 80 ans au moment du livre, qui à 76 ans, eut un sérieux accident mais qui l’année suivante était de nouveau à cheval. Même pas mal on vous dit.

Durs à cuire ces foxhunters ? Sans doute mais coquets aussi ! George Algernon Fothergill ne manque pas une occasion de vanter la qualité des bottes de l’un, la manière de porter sa veste toujours ouverte ou très longue sur le derrière de ceux-là, de souligner l’adoption de la veste vert “grasshopper” de cet autre. Sir William Chaytor qui, quant à lui, porte des lunettes, préfère « être immortalise sans ».
    Ce dandysme cynégétique cache souvent une sensibilité véritable, le goût des roses et des œuvres d’art, l’amour de la poésie et la musique. La finesse
Du vert "grasshopper" sinon rien!
de ces gentlemen farmers affleure dans les dessins et les commentaires de GAF. Le marquis de Londonderry qui "seems to know everyone and everyone knows him" est si prévenant qu’il a fait tapisser les chambres de ses amis célibataires de caricatures savoureuses de Vanity Fair. Sir William Eden a beau flinguer les tigres, les ours et autres rhinocéros, il n’en est pas moins un aquarelliste distingué et  « quite a professionnal in the art of felling trees. [He] loves his woods and garden, and he is very fond of beautiful women ».


Mais c’est GAF qui finalement apparait être le plus sensible d’entre tous. Sans jamais ni du pinceau ni de la plume être méchant, il sait taquiner ses modèles. Il pousse le raffinement à publier deux éditions de son album : une comprenant 61 illustrations et une autre, de luxe cette fois et dont nous présentons ici un exemplaire, comprenant deux dessins supplémentaires. Cela vaut la peine de s’arrêter sur ces deux derniers
Les boutons de Bob
portraits. Ils ne figurent pas n’importe qui puisqu’il s’agit de deux hommes de l’ombre que GAF aurait très bien pu laisser sur le bord de l’album. Il y a tout d’abord, le premier piqueux du Raby Hunt, « Tom » Harrison, dont les sportsmen, sous couvert d’anonymat et tout en délicatesse, disent tout le bien qu’ils en pensent. Il y a ensuite « Bob » Lancaster l’aubergiste du George Inn, un original de caractère et d’apparence. Peu de gens peuvent compter autant de boutons à son gilet qu'au sien et en cela il rejoint drôlement le dandysme des joyeux chasseurs qui après être descendus de cheval, s’arrêtent discuter le bout de gras dans son auberge !

    L’histoire fait disparaître des radars  George Algernon Fothergill en 1908.  La rumeur le fait mourir en 1945 dans le Sussex. Il semble que personne ne lui ait couru après quand il quitta précipitamment Darlington. Nous voulons y voir l’ultime élégance de ces messieurs du comté envers celui qui sut, si bien, si drôlement, si tendrement les immortaliser.

© texte et illustrations villa browna / Valentine del Moral.




LE LIVRE QUI A PERMIS D’ÉCRIRE CETTE LORGNETTE est en vente à la librairie:

EXEMPLAIRE DE L’ÉDITION DE LUXE
George Algernon FOTHERGILL.
An Old Raby Hunt Club Album.
Edinburgh, George Waterston & Sons, 1899,
In-folio, reliure éditeur abimée.

Intérieur très frais. En frontispice 2 photographies contrecollées de tableaux du Raby Hunt, titre lithographié en couleurs, [40] pp., 63 planches lithographiées en couleurs sur papier fort dont  les planches 58 et 60 n’apparaissent que dans les exemplaires de luxe. Les planches 61, 62 et 63, figurant les nouveaux membres sont non listées.


NOTES

1 “curious to relate he doesn’t smoke though he can enjoy a good red wine with anyone”.
2 “he says he only takes snuff t
o make himself sneeze”.
3“At Trinity Hall, Cambridge, Pike’s Pease poor polo ponies played polo, punished well by his height”.

4 “He prefers the saddler to any arm-chair any day”