#PourCeuxQuiSontPressés C'est dommage dans la suite, il est question de :
#PeauDeChagrin
#HonoréDeBalzac
#JeDoisDeLargentDoncJeFuis
#RaphaëlDeValentin&Achille
#JeDoisDeLargentDoncJeFuis
#Bitures&Pochtronnades #CochonneriesLittéraires
#WhiteWalkers #FinasseriesBibliophiliques
#LaCamardeSeMarre #ReliureRomantique #Lorgnette
Pour ceux qui n'ont pas non plus le temps, mais qui le prennent quand même:
De gros chagrins d’enfant, de grands chagrins d’amour, mais une seule Peau
de chagrin. Et donc, mathématiquement, un seul à La pratiquer. Cet unique,
c’est Raphaël de Valentin. Il L’a possédée et s’est fait posséder par Elle.
Le chagrin, c’est de la peau de croupes d’âne ou de mulet dont on tendait
les tambours. Pour bien faire, on la mouillait, l’étirait, la posait, la
ligaturait autour de la ronde armature. Et puis on attendait. On attendait
qu’elle rétrécisse en séchant. Le drame de Valentin est de ne pas avoir eu les
épaules aussi carrées, les neurones aussi solides que le tambour. Il n’a pas
résisté, a été laminé. C’est à Balzac que l’on doit le récit de ce
terrible écrabouillement.
Jeune Honoré par Devéria |
On passa pourtant à un cheveu de n’en rien lire. La carrière de Balzac en
1825, avait fait long feu, au point qu’il écrive dans une lettre : « Il y a
longtemps que je me suis condamné moi-même à l'oubli; le public m'ayant
brutalement prouvé ma médiocrité. Aussi j'ai pris le parti du public et j'ai
oublié l'homme de lettre, il a fait place à l'homme de lettres de plomb. » (1)
A 26 ans – il est né en 1899 -, Balzac s’est en effet déjà largement essayé à
l’écriture. Sous pseudonyme la plupart du temps. Il a à son actif un bon petit
tas de « cochonneries littéraires.» (2) Il en a assez de faire le pitre et
décide de passer de l’autre côté de la feuille de papier. D’écrivain, il veut
devenir imprimeur. La parenthèse durera deux ans, d’avril 1826 à avril 1828.
Parenthèse sur laquelle nous devons insister parce qu’elle est essentielle pour
comprendre l’intérêt de la Peau de chagrin qui nous occupe.
Ouvrons-la, la parenthèse: Honoré se fait prêter du flouze, beaucoup. Avec tous
ces biftons, il se lance dans l’imprimerie et débute avec un impérissable
prospectus publicitaire pour des “pilules anti-glaireuses de longue
vie”. Il enchaine avec des feuilles de chou, des brochures à cinq francs six
sous. Et puis il sort les Art de… aux titres appétissants. Citons
l'Art de ne jamais déjeuner chez soi et de toujours dîner chez les autres
par feu le Chevalier de Mangenville, l'Art de mettre sa cravate de
toutes les manières connues et usitées enseigné et démontré en seize leçons
avec dessins à l'appui par le baron de l'Empesé, l'Art de payer
ses dettes et de satisfaire ses créanciers sans débourser un sou.
Modèle de Gillé |
Ce dernier opuscule porte dans son titre, tout le drame pécuniaire de Balzac. Endetté, il l’est en 1825, endetté il restera jusqu’à son dernier jour. Dans ces années-là, Honoré met au point sa future devise : “Je dois de l’argent donc je fuis”. Mais il n’est pas contre tenter un dernier coup fumeux avant de rendre gorge. En septembre 1827, le futur comédien humain rachète donc, avec ses derniers picaillons et ceux de ses amis les plus endurants, la fonderie de caractères d’imprimerie de Joseph-Gaspard Gillé, fameuse entre toutes. Créée au XVIIIe siècle, elle s’est fait un nom dans les caractères de fantaisie, les ornements et les lettres d'écriture. L’idée est géniale - cette maison jouera un rôle important dans l'histoire de la typographie romantique – mais elle arrive, comme les carabiniers, trop tard. Elle n’empêche pas le naufrage du type en nippes. Balzac n’a plus un rotin, mais désormais un sens aigu de la mise en page et de la typographie dont il fera bientôt bon usage.
La parution en 1829 de la Physiologie du mariage ou méditations de
philosophie éclectique, sur le bonheur et le malheur conjugal, publiées par un
jeune célibataire retentit comme un coup de tonnerre dans le landernau
littéraire. Le propos est osé. On applaudit le jeune célibataire qu’on
ne tarde pas à démasquer : Balzac a repris la plume.
La Peau de chagrin paraît en 1831. A nouveau, succès. Énorme
succès qui lui permet de mettre en chantier une édition illustrée qu’il compte
bien superviser de A à Z. Le résultat, nous l’avons entre nos mains.
La trace de la canne de Trim |
En guise d’épigraphe, il a décidé de faire imprimer l’arabesque fantasque
que Sterne fit figurer dans son Tristram Shandy. Pour qui ne sait pas de
quoi il retourne, elle apparaît énigmatique, ésotérico-littéraire, parfaitement
dans le ton fantastique de la Peau de chagrin. Et pourtant ! Pourtant,
ce n’est que la représentation du mouvement de la canne que Trim, personnage du
roman de Sterne, fait tournoyer en l'air au moment de définir la liberté humaine.
Il figure « la vie avec ses ondulations bizarres, avec sa course vagabonde
et son allure serpentine. » (3)
Or, c’est bien de cela que l’on cause. De la bizarrerie de l’existence, des
rencontres qui nous détournent du chemin originel, de l’argent qui nous le rend
affreusement caillouteux ou dangereusement glissant, de notre corps, faux-frère
jumeau de notre âme parfois imbécile, du temps qui passe et qui susurre à
quelques-uns d’entre nous : que préfères-tu ? Vivre longtemps dans
les coulisses obscures ou un peu mais sous les feux de la rampe ?
Sous les auspices maternelles pour l’un et méphistophéliques pour l’autre, Achille a tapé du pied et choisi la seconde option. Raphaël, lui comme l’autre, répond : « Va pour la course à la vie ».
Sous les auspices maternelles pour l’un et méphistophéliques pour l’autre, Achille a tapé du pied et choisi la seconde option. Raphaël, lui comme l’autre, répond : « Va pour la course à la vie ».
Va pour la course à la vie |
Et Valentin de s’engouffrer dans « ce conte arabe, où la féerie et le scepticisme se donnent la main, où des observations réelles et pleines de finesse sont enfermées dans un cercle de magie. Vous y trouverez de grands salons et de grandes orgies, la mansarde du jeune savant et le boudoir de la femme à la mode, la table de jeu et le laboratoire du chimiste : tout ce qui influe sur notre société, depuis le sourire de la jeune fille jusqu'aux malices du feuilleton. » (4)
Or, Balzac, fort de son incursion dans les arcanes du livre, sait
précisément ce qu’il veut. Il fait en sorte que son roman soit illustré
selon son bon plaisir. Les innombrables vignettes gravées sur acier sont
d'après des artistes qu’il a sélectionnés, parmi lesquels Gavarni, Janet-Lange,
Français et Marckl en sont la marque charmante. « L'écrivain donnait des
indications précises sur les images souhaitées, révélant son goût pour la
diversité aussi bien dans les sujets représentés (portraits de groupe ou de
personnage isolé, décors, scènes du roman, symboles et figures allégoriques),
que dans leur emplacement : bandeau, cul-de-lampe, fleuron, lettrine et
illustration de couverture. » (5)
cette tête à claques de Fœdora |
Ces vignettes ne sont pas que ravissantes. Elles trahissent allègrement
Honoré derrière Balzac. En suivant scrupuleusement le déroulement de
l’histoire, elles rappellent combien l’auteur est attaché à l’intrigue dont le
mot comme l’image sont les chevaliers servants. Piquons au hasard cette tête à
claques de Fœdora observée de derrière les rideaux par notre héros, alors
qu’elle se retrouve seule après la surboum qu’elle vient de donner. « Justine
s’agenouilla, défit les cothurnes des souliers, déchaussa sa maîtresse, qui
nonchalamment étendue sur un fauteuil à ressorts, au coin du feu, bâillait en
se grattant la tête. Il n’y avait rien que de très-naturel dans tous ses
mouvements, et nul symptôme ne me révéla ni les souffrances secrètes, ni les
passions que j’avais supposées. » Entre le texte de Balzac et la vignette
qu’en tire Langlois, pas un iota de divergence. C’est comme si on y était.
Ces vignettes, nombreuses, n’ont pas reçu d’entourage. C’est peut-être que Balzac considère l’illustration comme un ornement typographique à part entière et non comme une enjolivure exogène. On retrouvera ce parti pris chez quelques éditeurs du XXe s. et d’abord chez Vollard qui joue dans son Parallèlement à mêler les vers imprimés de Verlaine et les compositions de Bonnard.
On a lu ici ou là que ces vignettes avaient « tendance à interrompre la
lecture, à mettre l’accent sur le côté social, voire mondain, du roman plutôt
que sur son aspect philosophique. » (6) On croit déceler dans ces propos
un peu de dédain, alors qu’il faudrait au contraire, poser le volume sur ses
genoux et applaudir des deux mains. C’est ce côté anecdotique qui ancre cette
peau de chagrin anorexique dans le réel, qui fait qu’on marche, qu’on court,
qu’on croit dur comme fer à la fable.
Dans ce premier tiers du XIXe s., l’expédition de Bonaparte, les voyages de Champollion ont réveillé les imaginaires et l’égyptomanie règne en France. Avant le Voyage en Orient (1851) de Gérard de Nerval, le Roman de la Momie (1857) de Gautier, le Néferou-Ra, (1862) de Leconte de Lisle, Balzac évoque “L’Égypte, roide, mystérieuse, (… présente dans l’antre de l’antiquaire) par une momie qu’enveloppaient des bandelettes noires”. Une vignette, pleine de rumeurs, reprend le thème avec brio.
Mais c’est la vie quotidienne que les vignettes retranscrivent qui font
notre joie. Ce quotidien familier aux lecteurs des années 1830, nous
est aujourd’hui parfaitement étranger. Les vignettes, en ayant cristallisé
l’époque par-dessus les siècles, nous y donne accès. Et avec une pointe de
regret chronologique, nous voyons les élégants se tenir par la taille, une main
dégantée attendre le baiser d’un admirateur, un lit de draps et d’édredon
s’ouvrir, des pantalons en fuseau se tendre, des robes en corolle s’épanouir,
une jeunesse jouer au volant rue de Cluny. Des tailles hautes, des gants de
chevreau, des raquettes, et non des tailles basses, des tatouages, des
téléphones portables.
une jeunesse jouer au volant rue de Cluny |
Rien qui n’arrive cependant à nous faire oublier que la mort rode dès la première page de la Peau de chagrin. Les squelettes rythment de loin en loin l’illustration. Le premier apparaît sur la page de titre, tout occupé à tirer un homme vers lui. Sa présence, subtilité bibliophilique, indique que nous sommes en présence du tout premier tirage de cette édition illustrée. Un autre chevauche un cheval au galop. L’image est encore aujourd’hui saisissante, si plaisante qu’elle a été récemment reprise dans « Games of thrones », où des White Walkers mènent impassiblement leurs chevaux décharnés. La Faucheuse folâtre mais n’oublie cependant pas ses devoirs et on la retrouve postée dans l’ombre de l’alcôve dans laquelle Raphaël trépasse. La faux est là, mais pas la robe à large capuchon. Elle n'a que l'air sur les os.
Aïeul du White Walker |
Le texte lui-même traine une morbidité palpable. Au milieu du roman, La
Camarde se permet de s’attarder sur les noceurs qui sortent d’un sommeil lourd
d’ivresse. Tandis que « l’assemblée se trouve sur pied, rappelée à la vie
par les chauds rayons du soleil », les « yeux si brillants (sont)
ternis par la lassitude. Les teints bilieux (… font) horreur, les figures
lymphatiques, si blanches, si molles quand elles sont reposées, (sont) devenues
vertes ; les bouches naguère délicieuses et rouges, (sont) maintenant
sèches et blanches (…) Les hommes (renient) leurs maîtresses nocturnes à les
voir ainsi décolorées, cadavéreuses comme des fleurs écrasées dans une rue
après le passage des processions. (…) Vous eussiez frémi de voir ces faces
humaines, aux yeux caves et cernés qui semblaient ne rien voir, (…). Ces
visages hâves où paraissaient à nu les appétits physiques sans la poésie dont
les décore notre âme, avaient je ne sais quoi de féroce et de froidement
bestial. » Corporellement mortel !
C'est à boire, à boire, à boire... |
Page après page, insidieusement, Balzac assassine notre espoir de voir
Raphaël de Valentin réchapper du piège chagriné. Ce lent assassinat baigne dans
le vin de Champagne, de Bourgogne et de Bordeaux. On n’en finit pas de se
pochtronner. On "donne à boire à son gilet". On trinque, on titube, on valse, on
renverse les fauteuils, on rampe par terre. Même les vignettes ont le tournis.
Qui donnait sérieusement à boire à son gilet |
Le résultat est d’autant plus délicieusement vicieux que ces vignettes sont
exquises, pleines de joliesse et de vitalité. « Lisez la Peau de
chagrin, vous en avez pour trois nuits d'images éclatantes et
terribles qui soulèveront les rideaux de votre alcôve pour peu que la
nature vous ait doué d'imagination ; et pour un an de réflexions, si vous
êtes né contemplateur, observateur et penseur. »(7) © texte et illustrations villa browna / Valentine del
Moral
Le livre qui nous a permis d'écrire cette lorgnette est sur les tablettes de la librairie:
Honoré de Balzac
La peau de chagrin
Paris, Delloye et Lecou, 1838.
In-4, demi-veau vert romantique à coins, plats gaufrés. Quelques très rares frottements.
Première édition illustrée, en premier tirage, de 100 vignettes sur acier de Gavarni, Baron, Lange...
Bel exemplaire sur papier bien blanc. Quelques pâles rousseurs. Clouzot note : "Ouvrage assez souvent piqué, difficile à rencontrer en belle condition."
Belle reliure romantique.
L'édition contient bien les caractéristiques du tout premier tirage stipulées par Clouzot : vignette du squelette tirant un homme en arrière en page de titre et la vignette du jardinier. Seul volume publié d'un ensemble qui devait comprendre toute l'oeuvre de Balzac. La page de faux-titre suivant celle du titre porte en bas l'inscription : "ET. SOC. - T. XXVI".
Page 180, le personnage assis à gauche de Rastignac passe pour représenter Balzac note P. Berès dans son catalogue de 1949.
Maison de Balzac, « L’édition parue en 1838 chez Delloye et Lecou dans l’éphémère collection « Balzac illustré », imaginée par l’écrivain lui-même, constitue le témoignage tangible de l'intérêt et des préférences de Balzac en matière d'illustration ».
Demander détails et/ou prix
Le livre qui nous a permis d'écrire cette lorgnette est sur les tablettes de la librairie:
Honoré de Balzac
La peau de chagrin
Paris, Delloye et Lecou, 1838.
In-4, demi-veau vert romantique à coins, plats gaufrés. Quelques très rares frottements.
Première édition illustrée, en premier tirage, de 100 vignettes sur acier de Gavarni, Baron, Lange...
Bel exemplaire sur papier bien blanc. Quelques pâles rousseurs. Clouzot note : "Ouvrage assez souvent piqué, difficile à rencontrer en belle condition."
Belle reliure romantique.
L'édition contient bien les caractéristiques du tout premier tirage stipulées par Clouzot : vignette du squelette tirant un homme en arrière en page de titre et la vignette du jardinier. Seul volume publié d'un ensemble qui devait comprendre toute l'oeuvre de Balzac. La page de faux-titre suivant celle du titre porte en bas l'inscription : "ET. SOC. - T. XXVI".
Page 180, le personnage assis à gauche de Rastignac passe pour représenter Balzac note P. Berès dans son catalogue de 1949.
Maison de Balzac, « L’édition parue en 1838 chez Delloye et Lecou dans l’éphémère collection « Balzac illustré », imaginée par l’écrivain lui-même, constitue le témoignage tangible de l'intérêt et des préférences de Balzac en matière d'illustration ».
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(1)Lettre de Balzac à Loëve-Veimars -
(2) Lettre à Laure Surville, 2 avril 1822 -
(3) Introduction de Philarète Chasles aux Romans et contes philosophiques de Balzac, août 1831 -
(4) Philarète Chasles cf. note (3) -
(5) Notice, www.maisondebalzac.paris.fr/en/node/165 -
(6) Tim Farrant, La vue d’en face. Balzac et l’illustration. www.cairn.info/revue-l-annee-balzacienne-2011-
(7) Philarète Chasles, cf. note (3) -
(2) Lettre à Laure Surville, 2 avril 1822 -
(3) Introduction de Philarète Chasles aux Romans et contes philosophiques de Balzac, août 1831 -
(4) Philarète Chasles cf. note (3) -
(5) Notice, www.maisondebalzac.paris.fr/en/node/165 -
(6) Tim Farrant, La vue d’en face. Balzac et l’illustration. www.cairn.info/revue-l-annee-balzacienne-2011-
(7) Philarète Chasles, cf. note (3) -