Nous sommes en
1711. Les bagarres entre barbiers et chirurgiens sont en train de
s’estomper. Pour comprendre les
rivalités qui les opposèrent jusqu’alors, il est bon de comprendre que
l’exercice de la main sur le corps était de la compétence non de la médecine
mais de la chirurgie, que l’art de raser et de faire le poil n’en était pas
exclu et que cette spécialité était aussi… celle des barbiers.
Bien que ça ne
rue plus dans les brancards, il faudra cependant patienter jusqu’à la
déclaration du 23 avril 1743, pour que la barberie soit enfin totalement
séparée de la chirurgie.
Si nous insistons sur ces
affrontements entre coupe-chou et scalpel dignes de ceux des Jets et des Sharks, c’est que le manuscrit que nous vous proposons s’ouvre sur un
dessin à la plume qui figure un blason à trois
boîtes d'onguent d'or, à la fleur de lys de même en cœur. Or, selon les
sources, ces armoiries sont attribuées soit aux chirurgiens… soit
chirurgiens-barbiers. Ce crêpage de blason est-il, après tout, aussi important qu’il en a l’air ? Ben oui, quand même. L’auteur du manuscrit, dont on ne connait pas l’identité, cite en références, parmi d’autres - Hippocrate et Gallien, Guy de Chauliac et son célèbre Guidon – petit nom donné à sa Chirurgia Magna publiée en 1363, mais aussi Ambroise Paré.
Or, Ambroise Paré, tiens, justement, ne commença pas
par être chirurgien. Il fut prosecteur d’un certain Sylvius. Le plus souvent, à
l’époque, les professeurs des cours d’anatomie de la Faculté péroraient en
chaire, postillonnant sur leurs prosecteurs à qui ils laissaient le soin de
mettre les mains dans le cambouis. Or, ces prosecteurs se recrutaient
habituellement chez les barbiers qui ne craignaient pas de maculer leurs
tabliers en disséquant bonshommes et bonnes femmes silencieusement consentants.
Ceci faisant, ils donnaient matière à la dialectique du maitre et l’esclave que
Hegel formulerait au début du XIXe s. : depuis lors Sylvius n’a-t-il pas
en effet sombré dans les oubliettes tandis que Paré continue à se tailler la
part du lion au panthéon des bistouriteurs de génie ?
Pour en
revenir à notre élégant manuscrit, – parce que nous sommes foncièrement
imaginatifs -nous crevons d’envie, pour la beauté de l’extrapolation, de
défendre l’idée qu’il fut composé par un étudiant en chirurgie, légèrement
courtisan sur les bords. En effet, si l’on veut bien considérer que le chiffre
joliment dessiné en fin de volume formé des lettres G. et M. cherchait à rendre
hommage à George Mareschal, alors Premier chirurgien du roi Louis XIV, on
pourra considérer ce Nouveau traité de
Chirurgie en sa perfection, comme un ravissant fayotage.
Orphelin à treize ans, de son père manchot, Mareschal
fut recueilli par son tuteur, Paul Knopf qui - nous y revoilà ! - fut
chirurgien-barbier. Il fit de son pupille son garçon de salle. De fil en
aiguille à suturer, le jeune Georges monta à Paris, apprit l’anatomie en
travaillant bénévolement à l’hôpital de la Charité, avant de finir par charcuter,
avec une grande réussite, Louis XIV, Racine, Saint Simon, le maréchal de
Villars et tous les héros de la cour affligés de bobos. Tous ces people versaillais s’en sont allés. Demeure le fayot inconnu et son délicieux Traité de chirurgie en sa perfection. © villa browna
LE MANUSCRIT QUI NOUS A PERMIS D’ÉCRIRE CETTE LORGNETTE:
Manuscrit – Nouveau traité de Chirurgie en sa perfection
Sans lieu, 1711. In-4 plein veau, dos à nerfs orné. Frottements et un petit manque en bas du dos.
Titre illustré d’un blason, 349 pp., un ornement au chiffre G.M., 6 pages de table. Galeries de vers aux premières et dernières pages n’altérant pas la lecture. 3 déchirures sans manque restaurées.
Manuscrit de chirurgie rédigé d’une écriture particulièrement lisible. Le traité à proprement dit est précédé de questions-réponses définissant le métier de chirurgien. – En vente –
Nous écrire villabrowna[at]free.fr