Plantons le décor. Nous sommes en 1905. Georges Valentin Bibesco est nommé par
le roi Carol 1er de Roumanie en Perse auprès de Mozaffareddine Chah pour une
mission diplomatique. Or, le jeune homme est marié à la très, très jeune Marthe
qui s’ennuie à mourir à Paris.
FOUS À ROULER
Mais tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes, s’écrie leur cousin Emmanuel Bibesco ! Soyons fous, voyons loin, allons jusqu’à Ispahan en auto!
FOUS À ROULER
Mais tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes, s’écrie leur cousin Emmanuel Bibesco ! Soyons fous, voyons loin, allons jusqu’à Ispahan en auto!
Fous à rouler,
pour sûr ils le sont : 1905, c’est tôt pour faire rugir un moteur plus loin que
tout près. En automobile, le duc de Montpensier ne tentera qu’en 1908 son
célèbre Saïgon-Angkor et le diable par la même occasion. L’idée folle séduit
pourtant Georges qui est tenu par son engagement et Marthe qui, décidément,
n’en finit pas de bailler. On décide donc d’affréter une Mercédès 40-chevaux,
châssis court et découverte, une Mercédès 20-chevaux et une Fiat, 16-chevaux.
On les bourre de valoches, de cantines, d’appareils photo king size et on y
colle trois mécaniciens qui n’en finiront pas de « s'étonner et de ne pas
comprendre que c’est pour le plaisir que voyagent ainsi le prince
Georges-Valentin Bibesco, sportsman émérite, sa très jeune femme de 19 ans qui
eut toujours avec elle, — où les trouvait-elle dans le désert? — des fleurs, et
qui autant que les fleurs aime les vers, jusqu'à en faire de fort beaux ; sa
cousine Mme Michel Charles Phérékyde et le mari de la dite cousine ; le prince
Emmanuel Bibesco, le fauteur de ce voyage qui, en Russie et au Caucase, allait
porter le poids et la responsabilité de leur expédition ; M. Léonida, sportsman
roumain, plus tenace, on le verra, qu'un bouledogue; et [lui]. » Lui, c’est
Claude Anet, 37 ans, le plus vieux et de loin de la bande. Journaliste à la
ville, il est aussi polyglotte, globe-trotter, champion de France de tennis
1892 et créateur – excusez-moi du peu - de l'héroïne qui deviendra l’Ariane
de Billy Wilder.
crevaison...à mille milles de toute terre habitée |
ROAD-TRIP
EN STÉRÉO
Il se trouve
que le journaliste et la princesse ont raconté ce road-trip, chacun à leur
propre sauce. Celle d’Anet est un mélange de pannes, de trous, de boue et de
bravoure, d’embûches suivis de soulagements extatiques ; Celle de Marthe
Bibesco, un condensé de fleurs, d’odeurs, de petits cris de joie ou
d'étonnement, d’entrevues qui portent au ravissement. Ses Huit Paradis,
parus en 1908 reçurent un accueil de ministre. Maurice Barrès s'enthousiasma
pour cette première œuvre, Robert de Montesquiou - dandy par allégeance à
Brummel, cousin par alliance de Marthe Bibesco - lança sa réputation au fil
d’un article-fleuve paru dans Le Figaro. La lecture de son livre est,
c’est vrai, charmante. Mais, convenons-en, elle ne prend toute sa saveur que
lorsqu’on la met en parallèle avec Les Roses d'Ispahan - La Perse en
Automobile, à travers la Russie et le Caucase qu’Anet fit paraître dès son
retour, en 1906, et dont nous feuilletons ici un exemplaire.
une princesse et un reporter pour un même road-movie |
UN
REPORTER DANS LE MOTEUR
S’il s’est dépêché de faire paraître leurs aventures, c’est qu’il compte bien vivre du récit de l’expédition. Le Gil Blas dont il était le collaborateur, dès le départ des autos, prépara le terrain en donnant par ci, par là, des nouvelles de leur envoyé spécial. On lit en mai 1905 : « Cette élégante compagnie et M. Claude Anet ont déjà traversé la Russie méridionale, la Crimée, et ils vont bientôt atteindre la Transcaucasie. Les populations des régions qu'ils traversent regardent, bouleversées, passer l'automobile ; parmi les paysans qu'ils rencontrent sur leur route, les uns se signent en les voyant, les autres leur lancent des pierres. Les autorités russes ont déconseillé aux voyageurs de poursuivre leur chemin. Mais ceux-ci ne cèdent pas à leurs instances. Arriveront-ils à Téhéran ? That is the question. »
S’il s’est dépêché de faire paraître leurs aventures, c’est qu’il compte bien vivre du récit de l’expédition. Le Gil Blas dont il était le collaborateur, dès le départ des autos, prépara le terrain en donnant par ci, par là, des nouvelles de leur envoyé spécial. On lit en mai 1905 : « Cette élégante compagnie et M. Claude Anet ont déjà traversé la Russie méridionale, la Crimée, et ils vont bientôt atteindre la Transcaucasie. Les populations des régions qu'ils traversent regardent, bouleversées, passer l'automobile ; parmi les paysans qu'ils rencontrent sur leur route, les uns se signent en les voyant, les autres leur lancent des pierres. Les autorités russes ont déconseillé aux voyageurs de poursuivre leur chemin. Mais ceux-ci ne cèdent pas à leurs instances. Arriveront-ils à Téhéran ? That is the question. »
Les populations des régions qu'ils traversent regardent et réagissent |
LE SUPPLICE DE LA DILIGENCE PERSANE
On retrouve ce ton humoristico-rocambolesque tout au long des Roses d'Ispahan. Déjà le titre fleure bon la dérision. Il semble annoncer un style à la Leconte de Lisle. Souvenez-vous : « Les roses d'Ispahan dans leur gaine de mousse / Les parfums de Mossoul, les Heurs de l'oranger. » Il cache en réalité, une écriture nerveuse, jetée en rafale sur le papier. Au fil des épisodes, Anet observe, sourit, trépigne, détaille et critique, bougonne, s'amuse de tout, se moque de lui et de ses compagnons dès qu’il le peut. S’il y a de très jolies pages, c’est la tragi-comédie qui prévaut. En arrivant à Téhéran par exemple, il n’y a plus qu’une voiture qui roule pour sept voyageurs. Qu’à cela ne tienne, une partie de la troupe voyagera en voiture à cheval. Mais à peine partis, ils font « une découverte terrifiante »: « Notre diligence n'a pas de ressorts et la route n'est que bosses et trous. […] Les voilà sans repos, secoués sur les planches étroites, et chaque secousse est une souffrance. Nous ne pouvons ni étendre les jambes, ni appuyer la tête ; alors les jambes s'engourdissent, les pieds meurent, les clavicules s'écorchent, les bras se tordent, l'épine dorsale fléchit, le cerveau est en bouillie ; on découvre qu'on a des reins et on ne l'oubliera plus. Tel est ce supplice auquel nous nous sommes bénévolement soumis, le supplice de la diligence persane. »
en plein supplice de la diligence persane |
LE POIDS DES MOTS, LE CHOC DES PHOTOS
Ce qui finit de faire le charme de ce grand volume, ce sont les photos qui l’illustrent. « Elles accompagnent le texte, écrit Jules Bois, nous apportent de véritables documents, puisqu'elles ne doivent rien à la fantaisie, étant le résultat fatal de la collaboration des paysages et des hommes avec le soleil. Ces photos, prises au hasard des routes, imposent en quelque sorte au narrateur son esthétique qui est la notation immédiate, précise de la chose vue, à laquelle il joint des réflexions personnelles nées du choc impressif et de l'instant. Oui, l'instant, c'est cela. Instantanéisme aussi bien dans l’écriture que dans l'image. » Ce commentaire n’a pas pris une ride et on se délecte encore aujourd’hui devant ces photos souvent miraculeusement prises à l’aide « d’appareils de photographie [qui formaient] un bataillon important : il y [avait] trois kodaks pliants avec objectifs Gœrz ou Zeiss, un petit panoramique qui ne se [laissait] pas réduire, et un grand panoramique qui [était] hors toute mesure. Il [emplissait] à lui seul la caisse de l'auto ; ses angles [étaient] incisifs et, à chaque cahot, il [entamait] les tibias. A la halte, il [servait] de tabouret ou de table ; c'est du reste l'unique service qu'il [rendit] pendant longtemps, car il se [refusa] obstinément à photographier les paysages devant lesquels nous le [faisions] fonctionner. »
Il y a du Jacques Tati, du Buster Keaton, du Jérôme K. Jérôme dans ces Roses d'Ispahan - La Perse en Automobile qui, pour le moment, embaument la librairie. © villa browna
LE LIVRE QUI NOUS A PERMIS D’ÉCRIRE CETTE LORGNETTE EST DISPONIBLE A LA LIBRAIRIE. IL S'AGIT DE :
Claude Anet
Les Roses d'Ispahan - La Perse en Automobile, à travers la Russie et le Caucase
Paris, Félix Juven, 1906.
In-4, reliure en toile verte, haut des mors légèrement entaillés. Pièce de titre. Couverture conservée. Bel état intérieur.
317 pp., table. dont de 40 pages d’illustrations tirées sur papier glacé.
Edition originale. Récit enlevé, au jour le jour, de l’un des premiers road-trips automobiles. I - Le Départ. La Bessarabie. II - La Crimée. III- Le Caucase. IV- L'arrivée en Perse. V- De Resht à Téhéran ou premières expériences sur route persane. VI- Huit jours à Téhéran. VII- De Téhéran à Ispahan ou la diligence persane. VIII- Une semaine à Ispahan. IX - Le Retour. X- De Tiflis à Tabriz et Zendjan ou aventures héroïques de Léonida et d'une Mercédès dans les montagnes de la Perse. XI- La dernière étape. En appendice, « Comment aller en automobile jusqu’à Ispahan » renfermant une foultitude de renseignements détailler pour suivre l’exemple d’Anet et de ses intrépides compagnons. Wilson, Bibliog. of Persia, p. 7
infos-commande
Ce qui finit de faire le charme de ce grand volume, ce sont les photos qui l’illustrent. « Elles accompagnent le texte, écrit Jules Bois, nous apportent de véritables documents, puisqu'elles ne doivent rien à la fantaisie, étant le résultat fatal de la collaboration des paysages et des hommes avec le soleil. Ces photos, prises au hasard des routes, imposent en quelque sorte au narrateur son esthétique qui est la notation immédiate, précise de la chose vue, à laquelle il joint des réflexions personnelles nées du choc impressif et de l'instant. Oui, l'instant, c'est cela. Instantanéisme aussi bien dans l’écriture que dans l'image. » Ce commentaire n’a pas pris une ride et on se délecte encore aujourd’hui devant ces photos souvent miraculeusement prises à l’aide « d’appareils de photographie [qui formaient] un bataillon important : il y [avait] trois kodaks pliants avec objectifs Gœrz ou Zeiss, un petit panoramique qui ne se [laissait] pas réduire, et un grand panoramique qui [était] hors toute mesure. Il [emplissait] à lui seul la caisse de l'auto ; ses angles [étaient] incisifs et, à chaque cahot, il [entamait] les tibias. A la halte, il [servait] de tabouret ou de table ; c'est du reste l'unique service qu'il [rendit] pendant longtemps, car il se [refusa] obstinément à photographier les paysages devant lesquels nous le [faisions] fonctionner. »
Il y a du Jacques Tati, du Buster Keaton, du Jérôme K. Jérôme dans ces Roses d'Ispahan - La Perse en Automobile qui, pour le moment, embaument la librairie. © villa browna
LE LIVRE QUI NOUS A PERMIS D’ÉCRIRE CETTE LORGNETTE EST DISPONIBLE A LA LIBRAIRIE. IL S'AGIT DE :
Claude Anet
Les Roses d'Ispahan - La Perse en Automobile, à travers la Russie et le Caucase
Paris, Félix Juven, 1906.
In-4, reliure en toile verte, haut des mors légèrement entaillés. Pièce de titre. Couverture conservée. Bel état intérieur.
317 pp., table. dont de 40 pages d’illustrations tirées sur papier glacé.
Edition originale. Récit enlevé, au jour le jour, de l’un des premiers road-trips automobiles. I - Le Départ. La Bessarabie. II - La Crimée. III- Le Caucase. IV- L'arrivée en Perse. V- De Resht à Téhéran ou premières expériences sur route persane. VI- Huit jours à Téhéran. VII- De Téhéran à Ispahan ou la diligence persane. VIII- Une semaine à Ispahan. IX - Le Retour. X- De Tiflis à Tabriz et Zendjan ou aventures héroïques de Léonida et d'une Mercédès dans les montagnes de la Perse. XI- La dernière étape. En appendice, « Comment aller en automobile jusqu’à Ispahan » renfermant une foultitude de renseignements détailler pour suivre l’exemple d’Anet et de ses intrépides compagnons. Wilson, Bibliog. of Persia, p. 7
infos-commande