Robida. Aquarelle originale pour les Contes drolatiques |
Il eut beau se mettre sous la gaillarde protection de Rabelais et à la mode du roman historique dont Walter Scott était prophète et pape, rien n’y fit. Ce fut un « succès négatif ! » dit Werdet, l’éditeur-créancier de Balzac, résumant par cette exclamation lapidaire l’avalanche des réactions et critiques qui fusèrent à la publication des dixains. Plus de vingt ans s’écoulèrent avant qu’un certain monsieur Caro, en 1859, passant outre la mauvaise première impression, se sentit« tenté de comparer le cerveau de Balzac à une vaste auberge où se rencontrent les hôtes les plus disparates. Là seulement peuvent s'attabler ensemble Rabelais et Swedenborg, Pantagruel et saint Martin:
Doré. Contes drolatique de Balza |
Il n’en restait pas moins que la grivoiserie persistante des sujets, la crudité des propos, le parti-pris d’écrire dans un français pseudo-médiéval fantaisiste avaient freiné la bienveillance des lecteurs habituels de Balzac.
Et c’est peu d’affirmer que rarement travail d’illustrateur n’eut plus d’importance dans la redécouverte d’un texte littéraire que ceux de Doré et Robida dans la renaissance des Contes drolatiques.
Robida. Contes drolatiques de Balzac |
Il faut dire que dans le club très privé des bourreaux de travail, Balzac et Robida figurent en bonne place. A la Comédie humaine de l’un répondent les 60 livres écrits, 200 livres illustrés, la participation active à environ 70 revues de presse et les près de 60 000 dessins de l’autre. Cela dit – pour ceux qui auraient des velléités de comparer leurs productions à la sienne, avant qu’ils ne se mettent la tête dans les mains et le canon sur la tempe, je tiens à rappeler qu’il n’avait ni téléphone portable, ni ordinateur, ni iPad, ni réunions parents-professeurs, ni jolies jambes de jeunes fille à reluquer puisqu’elles portaient long les jupes et qu’il était myope comme une taupe. De surcroit, il avait à nourrir une famille très nombreuse dont il fuyait les bavardages et les chahuts en s’isolant pour travailler.
Paradoxalement attiré par le roman d’anticipation et par les récits médiévaux, il sut ménager la chèvre, comme nous le montrent La vie électrique ou le Voyage de fiançailles au XXe siècle, et le chou en réitérant en 1884 l’exploit de Gustave Doré (1872) d’illustrer avec brio l’œuvre de Rabelais. C’est donc tout
naturellement qu’il se frotta à l’interprétation pullulante et noire que fit Doré des Contes drolatiques. Il en donna une lecture plus aérienne bien qu’aussi fourmillante. Il dessina moins de faces grimaçantes que son ainé, mais plus de visages lisses de jeunes femmes polissonnes. II répondit à l’outrance du texte par des foules agglutinées, des chevaux élégants contrebalançant la balourdise des hommes et des bestioles échappées des tableaux de Jérôme Bosch.
Robida. Cocquesigrues drolatiques |
Comme la cerise sur le gâteau basque, l’exemplaire que nous présentons contient une aquarelle originale de Robida, composition non retenue pour le conte intitulé La mye du roi. Sur celle-ci, on voit une très jolie jeune femme défendre sa vertu à l’aide d’un poignard que le roi lui a donné. Celui qu’elle repousse n’est autre que son mari au soir de sa nuit de noces. L’époux échaudé, s’arrache par poignées entières les cheveux qu’il a visiblement déjà commencé à perdre. C’est malicieux de la part de Robida. En effet, la nouvelle de Balzac s’achève sur une touffe arrachée par le mari trompé à la toison de celle qu’il croit être son ingrate mais légitime épouse. Elle s’avère n’être que celle sa chambrière (très au fait de la chose la chambrière, entre nous soi dit), mais brune alors que sa maitresse est blonde. Le pauvre bougre s’en apercevant est éconduit par la fidèle soubrette en ces termes: « — Mais, fist-elle d'un air de mespris, ne scavez-vous poinct, vous qui scavez tout, que ce qui est desplanté meurt et se descolore... ! ».
© texte et photos villa browna // Valentine del Moral
ACTUELLEMENT EN VENTE, LES LIVRES QUI NOUS ONT PERMIS D’ÉCRIRE CETTE LORGNETTE :
BIBLIOGRAPHIE :
E. Caro in la Revue Européenne, 1ère année, 1859.
J. Barbey d'Aurevilly Les romanciers Paris,Amyot, 1860.