C’est surtout dans la deuxième édition française de l’Art de connaître les hommes par la physionomie parue entre 1806 et 1809 chez Prudhomme en 10 volumes que les Balzac et autres Stendhal puisèrent leurs recettes physiognomistes. Il s’agissait d’appliquer aux personnages romanesques une méthode fondée sur l'idée que l'observation des traits du visage d'une personne peut donner un aperçu de son caractère et de sa personnalité.
Ils transformèrent un travail des lumières en boite à malice littéraire. En effet, Gaspard Lavater (1741 -1801) tombé sous le charme des théories de Zophyre, mage un peu branque qui sévissait à Athènes au Vème s. avant J.C., compara, compila, ordonna toute sa vie de scientifique durant, le résultat de ses innombrables observations des nez, oreilles, fronts, mentons, bouches, crânes et ovales de ses contemporains. Il en extirpa un système d’analyse soi-disant imparable et l’édita pour la première fois en 1775.
Or Gaspard mourut en 1801. D’outre-tombe, il allait enfin pouvoir cesser de défendre son grand œuvre et vérifier avec délectation sa théorie sur les tronches et autres trognes croquignoles qui séjournaient depuis des siècles aux Enfers. Peut-être aussi était-il occupé à se mordre l’intérieur de la joue, s’apercevant que les traits de tel grand intellectuel, tel héros, tel saint homme correspondait au faciès de tel bandit de grand chemin ou de tel soudard dépravé qu’il avait décrit dans ses Fragments de la Physiognomonie.
Il aurait finalement mieux valu qu’il vienne hanter les vulgarisateurs qui lui succédèrent. Car ces coquins-là, allégrement, surfèrent sur les modes plutôt que de poursuivre la sérieuse entreprise de leur maitre à penser.
Jugez sur pièce: dans l’édition de 1809 comme dans celle de 1815 du Lavater portatif, la planche XX présentait le profil de Napoléon. Mais si elle était ainsi légendée dans la première : « On remarque dans cette physionomie les indices d’un génie extraordinaire… Il est impossible que l’homme en qui tous ces traits seraient rassemblés ne fût un héros », elle devint un portrait à charge dans la seconde : « On remarque dans cette physionomie tous les traits qui peuvent caractériser le génie du mal ».
Ce n’est pas le vieil empereur qui s’en émut, qui aurait eu, selon Cousin d'Avallon ce commentaire définitif : « Lavater, avec ses rapports du physique et du moral, n'est qu'un insigne charlatan. […] La raison, l'expérience (et j'ai été dans le cas d'en faire une grande pratique ), montrent que tous ces signes extérieurs sont autant de mensonges, qu'on ne saurait trop s'en garantir, et qu'il n'est réellement d'autres moyens de juger et de connaître les hommes, que de les voir, de les essayer et de les pratiquer. » Et toc. Qu’il fut génie du mal ou génie extraordinaire - on peut discuter - il restait incontestablement le roi de la taille de costard.
Quant aux français, eux qui avaient si souvent du retourner leurs paletots depuis quelques dizaines d’années, ils s’en fichaient bien de « la trombine à Napo ». Comme H-G von Arbug le rappelle : en ce temps, dans « la métropole française, où de grands mouvements de migration créaient un climat d’anonymat et d’insécurité, l’ancienne spéculation théologique de Lavater devint un véritable code de comportement ». Soit. Mais Arbug ne nous empêchera pas de penser que ce petit vade-mecum servit d’abord à se ficher du voisin. Leur enthousiasme pour ce Lavater de 10 cm sur 13 confirmait leur goût pour la plaisanterie. En s’approchant des pierres anciennes de Paris, on les entendrait presqu’encore murmurer: « T’as vu les yeux à fleur de peau de celui-là ? Ca doit être un sacré colérique. Et ces laides dents ? Encore un de ces mélancoliques de mes deux. Vise les joues globuleuses proches des yeux de ce lascar-là ? Un méchant moqueur, tu peux en être sûr ! »
Du coup, c’est décidé. Demain, je laisse mon Iphone à la maison et je descends dans le métro avec mon Lavater portatif en poche.
Biblio : H-G von Arbug, Le Lavater portatif in Dénouement des Lumières et Invention Romantique (2000). Cousin d'Avallon, Bonapartiana, ou Recueil choisi d'anecdotes, de traits sublimes, de bons mots [...] Paris, 1851.
Ils transformèrent un travail des lumières en boite à malice littéraire. En effet, Gaspard Lavater (1741 -1801) tombé sous le charme des théories de Zophyre, mage un peu branque qui sévissait à Athènes au Vème s. avant J.C., compara, compila, ordonna toute sa vie de scientifique durant, le résultat de ses innombrables observations des nez, oreilles, fronts, mentons, bouches, crânes et ovales de ses contemporains. Il en extirpa un système d’analyse soi-disant imparable et l’édita pour la première fois en 1775.
Or Gaspard mourut en 1801. D’outre-tombe, il allait enfin pouvoir cesser de défendre son grand œuvre et vérifier avec délectation sa théorie sur les tronches et autres trognes croquignoles qui séjournaient depuis des siècles aux Enfers. Peut-être aussi était-il occupé à se mordre l’intérieur de la joue, s’apercevant que les traits de tel grand intellectuel, tel héros, tel saint homme correspondait au faciès de tel bandit de grand chemin ou de tel soudard dépravé qu’il avait décrit dans ses Fragments de la Physiognomonie.
Il aurait finalement mieux valu qu’il vienne hanter les vulgarisateurs qui lui succédèrent. Car ces coquins-là, allégrement, surfèrent sur les modes plutôt que de poursuivre la sérieuse entreprise de leur maitre à penser.
Jugez sur pièce: dans l’édition de 1809 comme dans celle de 1815 du Lavater portatif, la planche XX présentait le profil de Napoléon. Mais si elle était ainsi légendée dans la première : « On remarque dans cette physionomie les indices d’un génie extraordinaire… Il est impossible que l’homme en qui tous ces traits seraient rassemblés ne fût un héros », elle devint un portrait à charge dans la seconde : « On remarque dans cette physionomie tous les traits qui peuvent caractériser le génie du mal ».
Ce n’est pas le vieil empereur qui s’en émut, qui aurait eu, selon Cousin d'Avallon ce commentaire définitif : « Lavater, avec ses rapports du physique et du moral, n'est qu'un insigne charlatan. […] La raison, l'expérience (et j'ai été dans le cas d'en faire une grande pratique ), montrent que tous ces signes extérieurs sont autant de mensonges, qu'on ne saurait trop s'en garantir, et qu'il n'est réellement d'autres moyens de juger et de connaître les hommes, que de les voir, de les essayer et de les pratiquer. » Et toc. Qu’il fut génie du mal ou génie extraordinaire - on peut discuter - il restait incontestablement le roi de la taille de costard.
Quant aux français, eux qui avaient si souvent du retourner leurs paletots depuis quelques dizaines d’années, ils s’en fichaient bien de « la trombine à Napo ». Comme H-G von Arbug le rappelle : en ce temps, dans « la métropole française, où de grands mouvements de migration créaient un climat d’anonymat et d’insécurité, l’ancienne spéculation théologique de Lavater devint un véritable code de comportement ». Soit. Mais Arbug ne nous empêchera pas de penser que ce petit vade-mecum servit d’abord à se ficher du voisin. Leur enthousiasme pour ce Lavater de 10 cm sur 13 confirmait leur goût pour la plaisanterie. En s’approchant des pierres anciennes de Paris, on les entendrait presqu’encore murmurer: « T’as vu les yeux à fleur de peau de celui-là ? Ca doit être un sacré colérique. Et ces laides dents ? Encore un de ces mélancoliques de mes deux. Vise les joues globuleuses proches des yeux de ce lascar-là ? Un méchant moqueur, tu peux en être sûr ! »
Du coup, c’est décidé. Demain, je laisse mon Iphone à la maison et je descends dans le métro avec mon Lavater portatif en poche.
Biblio : H-G von Arbug, Le Lavater portatif in Dénouement des Lumières et Invention Romantique (2000). Cousin d'Avallon, Bonapartiana, ou Recueil choisi d'anecdotes, de traits sublimes, de bons mots [...] Paris, 1851.
En rayon actuellement à la librairie //
Lavater, Kaspar. Le Lavater Portatif, ou Précis de l'art de connaître les hommes par les traits du visage ; avec trente-trois planches coloriées. Troisième édition.
Paris, chez madame veuve Hocquart 1809.
Paris, chez madame veuve Hocquart 1809.
In-16, demi-chagrin à coins, dos lisse orné. 56 pp.
Edition populaire publiée parallèlement à la nouvelle traduction française de l'Essai sur la Physiognomonie (1807-1810) qui annonça la vogue des travaux de Lavater. 33 profils en couleurs dont un frontispice, avec explication en regard.
Edition populaire publiée parallèlement à la nouvelle traduction française de l'Essai sur la Physiognomonie (1807-1810) qui annonça la vogue des travaux de Lavater. 33 profils en couleurs dont un frontispice, avec explication en regard.