samedi 29 mai 2010

Charles Monselet ou la preuve que la plus jolie fourchette et la plume la plus alerte ne sont rien à celui qui ne sait pas les manier.

Monselet !
Merveille de gastronome. Maestro de l’anecdote. Miracle d’homme. Monselet, dont l'aimable fantaisie est toute entière contenue dans sa Gastronomie. Récits de table qu’il fait paraître en 1874. On peut voir dans l’inventaire à la Prévert un hommage à la table des matières de ce livre, qui propose à titre d'exemple, une choucroute et une andouillette en poèmes, une mise au point historique sur le poulet partagé entre « Gargantua-Soleil » et Molière, le récit d’un duel au cochon de lait inventé par Cagliostro ; les chantages d’un garçon de café pervers qui cherche absolument à faire commander des huîtres à son client alors qu’il ne désire au monde qu’un potage; quelques pages sur Alexandre Dumas qui « quand il ne faisait pas sauter un roman, faisait sauter des petits oignons », une réflexion sur le statut du millier de cuisinières réunies pour écouter un sermon écrit à leur attention par le curé d’une église d’un des grands faubourgs parisiens sur lequel, par hasard l’auteur passait alors ; la recette de la Turlutine d’état-major concoctée par des gourmets du 1er régiment d’Afrique simplissime dans sa réalisation dès l’instant qu’on a réuni les grenouilles, tortues et champignons nécessaires ; des recettes «sérieuses, plaisantes, extraordinaires» et bien d'autres friandises littéraires.
Monselet ne prit pas non plus le dos de la cuillère pour rédiger dans ses Récits de table une sorte de « pièce montée » en quatre tableaux dont l’Estomac tenait le rôle-titre.  On y lit ce genre d’hallucinant borborygme dialogué:
L’ESTOMAC. — Excellent café ! arôme pénétrant ! Ma foi, encore une tasse.
LE COGNAC. — A la bonne heure!
L’ESTOMAC. — Oh ! doucement, doucement ! Pas de bain de pied.
LE RHUM. — Tu as raison; le bain de pied est absurde et incommode.
L’ESTOMAC. — Mais qui t'appelle, toi ?
LE RHUM. — Je viens pousser le cognac.
LA CURAÇAO. — Je viens pousser le rhum.
L’ANISETTE. – Je viens pousser le curaçao.
L’ESTOMAC. – Grâce !
LE KIRSH. – Ranchez-Fus, Fus audres ; ne me regonnaisez-fus pas ?
L’ESTOMAC. – C’est le kirsch de la forêt Noire ! Je suis joli !
LE KIRSH. Ezze-gue che fus vais bir ?
L’ESTOMAC. – Qu’est-ce qu'il dit?
LE MARASQUIN. – Il demande s’il te fait peur.
L’ESTOMAC. – Je le crois bien, parbleu !
LE KIRSCH. - Tarteiffle!
L’ESTOMAC, au kirsch. - Allons, mon brave, ne vos fâchez point. On ne fait point d'esclandre ici. Pourquoi diable venez-vous si tard? On ne comptait plus sur vous.
LE KIRSCH. — Ch'aggzebde fos exguices.
L’ESTOMAC. — Qu'est-ce qu'il dit?
LA CRÈME DE MENTHE. — Il dit qu'il accepte vos excuses.
Mais aussi, il y a cette centaine de pages sur Grimod de la Reynière, un, avec Restif de la Bretonne, parmi les Oubliés et les dédaignés (Poulet-Malassis, 1857) que Charles Monselet tira d’un injuste oubli. Car, en vérité, le roi des gastronomes était avant tout le prince des aminches. Lié à Baudelaire, Nerval et Gautier, intime des Goncourt, il aimait son prochain simplement et épousa tardivement sa douce amie. Georges Bodereau, (1861-1897) journaliste littéraire, grand reporter et polémiste-duelliste fut témoin à son mariage: « Ah ! ce mariage ! C’est une des fleurs encore parfumées de l’herbier de ma prime jeunesse. [...] je ne sais rien de si touchant que le mot qu’eut, après les « oui » sacramentels, la vieille compagne, disant à son ami:
— Tu es bien gentil, mon Charles ! d’avoir pensé à ça ; mais, après si longtemps, était-ce bien la peine ? [... Puis] nous déjeunâmes aux Vendanges de Bourgogne. Charles Monselet mourut quelques mois après et Phémie ne lui survécut guère».
Aussi sûr que Molière apprécia de mourir sur scène, que Lassalle enragea de ne pas mourir au combat, Monselet voulait bien trépasser, mais en gastronome accompli. Et pas de feu Charles Monselet qui tienne ; à la rigueur un Monselet à feu doux à l’épitaphe gourmande auto-rédigée: « Versez sur ma mémoire chère / Quelques larmes de Chambertin / Et sur ma tombe solitaire / Plantez des soles... au gratin ».
Quant à son mot de la fin -« J'aurai un enterrement aux truffes ! »-, il prête à réflexion. Faisait-il allusion, à la recette de la poularde de demi-deuil, entre la chair et la peau de laquelle on glisse quelques lamelles de truffes ? (Entre nous soit dit, comme me l’a soufflé une bonne fée de la librairie, Monselet aurait certainement préféré une poularde de plein deuil constellée d’une myriade de truffes au lieu de quelques copeaux chiches.) L’énigme de ce dernier mot reste entière comme d’ailleurs, en 1848, le choix de ce jeune épicurien de 23 ans par le magnat de la presse qu’était Emile de Girardin. Il le choisit  pour rédiger dans les colonnes de La Presse la préface des Mémoires d’Outre-tombe de Chateaubriand qui devaient y paraître en feuilleton. Le choix de Théophile Gautier attaché au même journal aurait paru plus évident, bien que le fait qu’un bifteck portât le nom du défunt écrivain ait pu décourager les réticences de Monselet. Il semble d’ailleurs avoir trouvé l’inspiration et les audaces nécessaires dans la dégustation de son Chateaubriand saignant, car on dit que sa carrière démarra véritablement à partir de la publication ce préambule. Ce qui prouve bien une fois encore que la plus jolie fourchette et la plume la plus alerte ne sont rien à celui qui ne sait pas les manier.  
BIBLIO// Georges Bodereau, Sur Monselet in La Gerbe, n° 27, décembre 1920, pp. 72-74. André Monselet  et Jules Clarétie, Charles Monselet: sa vie, son œuvre (Testard, 1892).
En rayon actuellement à la librairie //
Monselet, Charles. Gastronomie, récits de table.
Paris, Charpentier, 1874.
Faux-titre avec au verso la justification, titre, III, 396pp. In-12, demi-chagrin rouge, dos à nerfs, plats et gardes marbrés, tête dorée, couvertures conservées. 
Edition originale, l'un des 50 exemplaires de tête numérotés sur papier de Hollande, seul grand papier.  Passant du coq à l'âne, Monselet (1825 - 1888) célèbre la cuisine, les cuisiniers, les meilleures histoires de gourmands, Grimod de La Reynière, l’asperge, l'absinthe, le Médoc, le couscoussou, le marchand de vin héroïque. On sait le goût pour la gastronomie de cet écrivain et journaliste qui fonda en 1865, le Gourmet, feuille de chou hebdomadaire consacré à son dada. Vicaire 606, Bitting 329, Oberlé 220.
En savoir plus ou commander envoyez-nous un e-mail!

samedi 22 mai 2010

Ah ! Ouvrir son « Lavater portatif » dans un wagon du métro parisien ! (Ou comment l’Iphone sera bientôt supplanté ).

C’est surtout dans la deuxième édition française de l’Art de connaître les hommes par la physionomie parue entre 1806 et 1809 chez Prudhomme en 10 volumes que les Balzac et autres Stendhal puisèrent leurs recettes physiognomistes. Il s’agissait d’appliquer aux personnages romanesques une méthode fondée sur l'idée que l'observation des traits du visage d'une personne peut donner un aperçu de son caractère et de sa personnalité.
Ils transformèrent un travail des lumières en boite à malice littéraire. En effet, Gaspard Lavater (1741 -1801) tombé sous le charme des théories de Zophyre, mage un peu branque qui sévissait à Athènes au Vème s. avant J.C., compara, compila, ordonna toute sa vie de scientifique durant, le résultat de ses innombrables observations des nez, oreilles, fronts, mentons, bouches, crânes et ovales de ses contemporains. Il en extirpa un système d’analyse soi-disant imparable et l’édita pour la première fois en 1775.
Or Gaspard mourut en 1801. D’outre-tombe, il allait enfin pouvoir cesser de défendre son grand œuvre et vérifier avec délectation sa théorie sur les tronches et autres trognes croquignoles qui séjournaient depuis des siècles aux Enfers. Peut-être aussi était-il occupé à se mordre l’intérieur de la joue, s’apercevant que les traits de tel grand intellectuel, tel héros, tel saint homme correspondait au faciès de tel bandit de grand chemin ou de tel soudard dépravé qu’il avait décrit dans ses Fragments de la Physiognomonie.
Il aurait finalement mieux valu qu’il vienne hanter les vulgarisateurs qui lui succédèrent. Car ces coquins-là, allégrement,  surfèrent sur les modes plutôt que de poursuivre la sérieuse entreprise de leur maitre à penser.
Jugez sur pièce: dans l’édition de 1809 comme dans celle de 1815 du Lavater portatif, la planche XX présentait le profil de Napoléon. Mais si elle était ainsi légendée dans la première : « On remarque dans cette physionomie les indices d’un génie extraordinaire… Il est impossible que l’homme en qui tous ces traits seraient rassemblés ne fût un héros », elle devint un portrait à charge dans la seconde : « On remarque dans cette physionomie tous les traits qui peuvent caractériser le génie du mal ». 
Ce n’est pas le vieil empereur qui s’en émut, qui aurait eu, selon Cousin d'Avallon ce commentaire définitif : « Lavater, avec ses rapports du physique et du moral, n'est qu'un insigne charlatan. […] La raison, l'expérience (et j'ai été dans le cas d'en faire une grande pratique ), montrent que tous ces signes extérieurs sont autant de mensonges, qu'on ne saurait trop s'en garantir, et qu'il n'est réellement d'autres moyens de juger et de connaître les hommes, que de les voir, de les essayer et de les pratiquer. » Et toc. Qu’il fut génie du mal ou génie extraordinaire - on peut discuter -  il restait incontestablement le roi de la taille de costard.
Quant aux français, eux qui avaient si souvent du retourner leurs paletots depuis quelques dizaines d’années, ils s’en fichaient bien de « la trombine à Napo ». Comme H-G von Arbug le rappelle : en ce temps, dans « la métropole française, où de grands mouvements de migration créaient un climat d’anonymat et d’insécurité, l’ancienne spéculation théologique de Lavater devint un véritable code de comportement ». Soit. Mais Arbug ne nous empêchera pas de penser que ce petit vade-mecum servit d’abord à se ficher du voisin. Leur enthousiasme pour ce Lavater de 10 cm sur 13 confirmait leur goût pour la plaisanterie. En s’approchant des pierres anciennes de Paris, on les entendrait presqu’encore murmurer: « T’as vu les yeux à fleur de peau de celui-là ? Ca doit être un sacré colérique. Et ces laides dents ? Encore un de ces mélancoliques de mes deux. Vise les joues globuleuses proches des yeux de ce lascar-là ? Un méchant moqueur, tu peux en être sûr ! »
Du coup, c’est décidé. Demain, je laisse mon Iphone à la maison et je descends dans le métro avec mon Lavater portatif en poche.
Biblio : H-G von Arbug, Le Lavater portatif in Dénouement des Lumières et Invention Romantique (2000). Cousin d'Avallon, Bonapartiana, ou Recueil choisi d'anecdotes, de traits sublimes, de bons mots [...] Paris, 1851.

En rayon actuellement à la librairie // 

Lavater, Kaspar. ‎Le Lavater Portatif, ou Précis de l'art de connaître les hommes par les traits du visage ; avec trente-trois planches coloriées. Troisième édition.‎
‎Paris, chez madame veuve Hocquart 1809.
In-16, demi-chagrin à coins, dos lisse orné. 56 pp.
Edition populaire publiée parallèlement à la nouvelle traduction française de l'Essai sur la Physiognomonie (1807-1810) qui annonça la vogue des travaux de Lavater. 33 profils en couleurs dont un frontispice, avec explication en regard.‎

samedi 8 mai 2010

De Parry à Tahiti : ses vahinés, les Pomaré, la lèpre et Gallimard.

Roger et André étaient amis. Le premier était maquettiste, le second directeur artistique, tous deux chez Gallimard. Roger Parry et André Malraux aimaient les voyages.Or, si en 1923 le jeune Malraux au Cambodge avait allégé Angkor de quelques fragments magnifiques, il n’avait décemment pas pu demander à son poteau de lui ramener de Papeete un petit quelque chose de vieux, de votif, et s’était surtout abstenu de lui réclamer un souvenir royal. Aussi vrai que nous savons que les rois de France touchaient leur bille en matière d’écrouelles, Malraux lui n’ignorait pas que la famille royale tahitienne en connaissait un rayon en lèpre. Toutefois, à la différence des rois de chez nous, les Pomaré pouvaient non seulement soigner mais aussi refourguer la lèpre à leurs sujets ainsi qu’aux étrangers. On raconte à ce sujet qu’à la fin du XIXème s, un bravache popaa d’Europe décida de s'asseoir dans le fauteuil dans lequel avait trépassé le prince Hinoï, neveu de feu le roi Pomaré V (1839-1891). Mal lui en prit, couvert qu’il fut sur l’heure d’une multitude de marques, prémices d’une lèpre foudroyante. Si au premier abord le truc parait plutôt efficace et sacrément plus expéditif que de faire construire une prison dorée tel que Versailles pour se faire respecter de la plèbe, cela créait un constant problème domestique : comme sous peine de lèpre, on ne devait pas toucher le linge royal, il était plutôt ardu de trouver des blanchisseuses à la cour ; de même nul, s'il n’était de sang royal, ne pouvait creuser la tombe du Roi. M’est avis que le petit personnel qui était en charge des pelles royales devait s’en taper une bonne tranche à chaque fois que les princes devaient saisir les manches et cracher dans les paumes de leurs mains.

Bref. Malraux (photographié ici par Parry) se consola en favorisant la publication chez Gallimard du reportage de son ami. Tahiti parut en 1934 dans un format in-4 et plusieurs indices montrent que Roger Parry mit tout son art à la fabrication de ce recueil de 106 photos. Depuis 1927, il avait dessiné pour la NRF des affichettes de librairie, des placards publicitaires ainsi que de nombreuses couvertures. Il fut également le photographe attitré de certains de ses auteurs-phare à commencer par Saint-Exupéry. Son travail photographique qui avait été consacré en 1930 dans Banalité de Léon-Paul Fargue, était essentiellement basé sur des recherches théoriques concrétisées dans des expériences éditoriales mêlant prise directe et placement d’effets dans la chambre noire. Dans Tahiti, les photos sont telles que prises. Mais son sens de la mise en page apparaît nettement. Sa maitrise de maquettiste explose dans l’ovale invisible qu’il crée sur la couverture en ajustant le dessin aux graphismes sacralisés de la NRF et de Gallimard.


Mais surtout on admire le choix des clichés qui mêlent délibérément images d’Epinal et réalité sociale, nature intemporelle et fragilité humaine ; la mer, l’éther et les terres ; le mouvement et l’immobilité enfin. La Tahiti mouvante se décline en bateaux, danses, plongeons et babils enfantins. La Tahiti immobile se focalise dans les portraits, la lèpre, et cette dernière image qui referme le recueil : un mère et son enfant mort, sorte de piéta tahitienne, sculpture saisissante de chair et de sang. Quant à la lèpre, quant aux lépreux, car c’est précisément d’eux qu’il s’agit, ils fixent l’objectif de Parry sans interrogation, sans jalousie, sans espoir. Ils sont vieux, ils sont jeunes, ils sont hommes, ils sont femmes, ils sont enfants enfin, tous consciemment retenus derrière de minces barrières de bois et une entrée béante. Cette entrée de la léproserie d’Orofara c’est en un sens l’acceptation par Tahiti de cette lèpre persistante. Endémique et royale, elle n’est là-bas toujours pas totalement éradiquée et la léproserie, aujourd’hui désertée, a étonnamment gardé intactes ses frêles défenses de bois.
Parfaitement absent de ce portfolio, le cheval autrefois célébré par Gauguin, apparaît étrangement sur la couverture de Tahiti. Est-ce le choix esthétique d’un Parry cherchant à parfaire comme nous l’avons vu, une couverture quitte à s’éloigner du contenu réel de la publication ? Ou est-ce une consolation d’écrivain-pilleur imposée par Malraux qui se voyait déjà caresser de sa longue main le dessin au trait de cette frustre statue équine que son ami n’avait su mettre dans sa valise. Quoiqu’il en soit, il ne garda pas rancune à Roger Parry qu’il attacha à ses pas et à qui il confia quelques années plus tard ni plus ni moins que la « conception graphique des premiers ouvrages de la collection de l’Univers des formes. De leur collaboration - rappelle le dossier de presse de Gallimard-naîtra un « Musée sans murs » qui rend visibles en un seul lieu un nombre illimité d'œuvres, monumentales ou miniatures et de toutes origines, et favorise, par le traitement graphique des illustrations, les rapprochements que l'œil peu exercé n'aurait su discerner. »

En rayon actuellement à la librairie //

Roger Parry   Tahiti. 106 photos de R. Parry
Paris, NFR Gallimard, 1934. In-4 broché, couverture imprimée en noir et rouge.
[112] pp.
Edition originale. Exemplaire du service de presse. Introduction par Parry avec en bandeau une carte de l’archipel, suivie des 106 photographies en noir disposée dans une mise en page étudiée. 
En savoir plus ou commander envoyez-nous un e-mail!

dimanche 2 mai 2010

Charles Nodier, escorté d'un illustrateur masqué et d'une piquante élégante.

Des années napolitaines de son père, précepteur du futur duc de Terranova, Louis Morin (1855-1938) garda le goût des masques…vénitiens et les dessina à l’envi, entre autres dans son Venise…rêve, dans le Carnaval de Venise et les Vingt masques de Maurice Vaucaire . Il les naturalisa français dans ses Carnavals parisiens parus en 1898. Par l’écrit et par l’image il y fixait sur papier pour les lecteurs tragiquement démasqués que nous sommes, les bals d’artistes, le bal des Quat-z-arts, le bœuf gras, la cavalcade des étudiants, la mi-carême des blanchisseuses qui faillirent mourir sous les coups de 1870 et qui n’allaient pas tarder à disparaître selon lui, menacés par la « règle des trois-huit ». L’illustrateur était furieusement visionnaire.
Raoul Ponchon pour sa part, voyait en Louis Morin rien moins qu’un « peintre exquis du dix-huitième / Egaré dans le dix-neuvième » et pour qui « La vie [était] faite de clarté,/ Pour lui, de joie et d’évidence,/A ce qui [n’était] pas la Beauté/ Il [n’accordait ] aucune importance». « [Cette] doctrine - conclut Raymond Hesse -, lui permit de conserver un crayon alerte, gai, agréable, une âme sereine malgré la vieillesse, les deuils, les tristesses de l’existence. Il célébra la joie, il enseigna l’amour, et s’il fut indulgent aux faiblesses, il stigmatisa toujours la lâcheté, l’hypocrisie et la fausse pudeur ».
Or, de fausse pudeur il n’en est pas question un seul instant chez Charles Nodier (1780-1844) dont un texte rencontra le pinceau de Morin en 1895. Il s’agissait du Dernier chapitre de mon roman qui devait paraitre chez l’éditeur Conquet. Non vraiment, on ne sent aucune fausse pudeur dans le travestissement qu’il fait de sa rencontre avec la belle madame Hainguerlot lors d’un bal en 1801. Il faut plutôt y voir le mécanisme de la fiction littéraire qui, chez Nodier se fonde sur son expérience d’homme sensible. L’écrivain, dans une lettre à Armand Ragueneau datée du 1er mars 1803, insistait sur l’importance qu’il donnait à cette réalité recréée : « Il s’agit du local où je donne mon bal masqué, et certainement, c’est de toutes les circonstances du livre, celle qui sera la plus indifférente aux lecteurs ; mais elle est liée dans mon cœur à de tels souvenirs, qu’à quel que prix que ce fût, je ne pourrais la sacrifier, sans cesser d’aimer mon ouvrage ». « Il y a là un indice de l’importance attachée par Nodier à certains éléments narratifs, anodins d’apparence et destinés à passer pour tels aux yeux des profanes, mais pour lui porteur d’une charge affective secrète » résume Jacques-Rémi Dahan dans son introduction à Charles Nodier. Correspondance de jeunesse
Puisqu'i n’y avait pas une once de fausse pudeur dans l’entreprise, rien vraiment ne s’opposait à ce que Morin illustre le texte. Mais, comme dans de la plupart du temps, on ne sait pas le pourquoi ni les détails de la collaboration de l’illustrateur et l’éditeur. On peut seulement se laisser aller gentiment à rêver que Louis Morin l’accepta après avoir eu vent de la piquante repartie de madame Hainguerlot, l’héroïne de Nodier, citée par Philibert Audebrand dans ses Petits mémoires d'une stalle d'orchestre (1885) : « Dans un bal, un masque la poursuivait, la harcelait de ses importunités ; vêtu d'un vieux costume fripé, qu'il achevait de salir, un tricot couleur de chair que couvrait à demi une mauvaise tunique bleue, il portait en sautoir un carquois dépenaillé; c'était une caricature vivante de l'amant de Psyché. A l'oripeau qui ceignait son front, à l'arc doré, ou plutôt dédoré, sur lequel il s'appuyait, aux ailerons fatigués accrochés à ses épaules, il était impossible de le méconnaître. Comme madame Hainguerlot s'obstinait à ne pas faire attention à ce piètre personnage :
— Regardez-moi donc, lui dit-il, regardez-moi donc? Je suis l'Amour !...
— Tu n'es certainement pas l'amour propre ! repartit madame Hainguerlot. »
Morin qui avait un sérieux sens de l’humour, n’aurait en effet pu que prendre cette pirouette pour un nouvel appel du Masque et n’aurait pu alors qu’accepter de peupler de 33 charmantes compositions les marges de ce Dernier chapitre de jeunesse. 
biblio: Les artiste du livre: Louis Morin. étude par Raymond Hesse. Babou, 1930; Jacques-Rémi Dahan  Charles Nodier. Correspondance de jeunesse. Champion, 1995. 

En rayon actuellement à la librairie //

Louis Morin Carnavals Parisiens. Bal des Quat'z'arts. Vache enragée. Bals du courrier. Bœuf gras. Cortèges des étudiants. Cortèges du Moulin-Rouge.
Paris, Montgredien et Cie, Librairie Illustrée, s.d. (1898).
In-12 demi-vélin à coins, dos lisse orné d’un dessin aquarellé de Morin reprenant un de ses motifs de satyre et bacchante, jaquette de protection en papier reliure.
Faux-titre, titre, dédicace, X, 186, [2] pp.
Edition originale tirée à 125 exemplaires, celui-ci sur japon numéroté et signé par Morin. et Couverture de l’édition brochée placée en planche dépliable en début de volume, et « affiche intérieure » couleurs de présentation du livre placée en planche dépliable en fin de volume.  
170 illustrations dont 9 hors-texte noir et blanc, 32 in-texte couleurs. Ex-libris.
















Charles Nodier Dernier chapitre de mon roman.
Paris, L. Conquet, 1895.
Grand in-8, demi-veau cerise à coins, dos romantiques, pièces d’auteur et de titre. Reliure de Carayon (1844-1909), relieur d’art spécialiste de la reliure rétrospective travaillant pour de riches bibliophiles.
Edition limité à 200 exemplaires sur vélin, celui-ci à grandes marges numéroté et paraphé par l’éditeur. Illustré de 33 compositions aquarellés de Louis Morin.