JUSTE QUELQUES LIGNES POUR CEUX QUI SONT PRESSÉS. (C’est dommage : dans la suite du texte, on se brouille avec Verlaine, on s’amuse devant le théâtre d’ombres du Chat noir, on fume à tire-larigot).
La vie à cheval... et rien d'autre |
Des cabarets
tels que les Hydropathes d’Emile
Goudeau ou le Chat noir de Rodolphe
Salis sont des rampes de lancement essentiels aux auteurs en quête de faire-valoir.
Au Chat noir, on voit souvent attablés
Léon Vanier et Verlaine. Ces deux là forment à ce qu’on en dit, un ménage très à
part «fixe et perpétuel, qui secoue la bile» du poète : « c’est l’association
et l’antagonisme de ses intérêts d’auteur avec ceux de l’éditeur Vanier. Trop
de similitudes existent entre ces deux émotifs pour que n’en résulte pas la
sympathie de deux êtres qui s’avouent les proies de tempéraments analogues.
Cela fait qu’ils se disputent continuellement et toujours finissent par
s’entendre» 2.
Pour
l’heure, les deux compères, entre deux brouilles, sirotent au Chat noir une
absinthe et s’esclaffent devant une représentation du théâtre d’ombres dont tout le monde raffole ici. Les
silhouettes en noir, qui se découpent sur un fond éclairé, réjouissent les
grands enfants que sont les pensionnaires chatnoiresques. D’autre fois, c’est
avec l’illustrateur Henri de Sta que Vanier lève le coude. Sta s’est fait une
spécialité de ces silhouettes en noir. Vanier en légende certaines, les édite toutes sous forme de petits albums à un franc. L’un d’entre
eux, La vie à cheval, a retenu notre
attention.
QUELQUES LIGNES
SUPPLÉMENTAIRES POUR CEUX QUI N’ONT PAS NON PLUS LE TEMPS (mais qui le
prennent).
Avant de rentrer dans
le cœur de l’album qui nous occupe, revenons si vous le voulez bien sur le phénomène
de la silhouette en noir. Cette forme graphique a durablement stimulé
les artistes du dernier tiers du XIXème s. A l’automne 1885, Georges Auriol
et Henry Somm ont eu l’idée d’agrémenter la salle des fêtes du Chat noir d’un théâtre de marionnettes3,
hommage irrévérencieux aux Guignols des très chics jardins du Luxembourg et des
Tuileries. Très vite, un autre habitué du cabaret, l’immense Henri Rivière, a l’idée
de balancer un grand morceau d’étoffe sur le théâtre. Il découpe vite
fait quelques silhouettes en carton. S’anime alors, de derrière l’écran blanc,
une paire de sergents de ville à qui le chansonnier Jules Jouy donne sur le
champ la parole, en entonnant quelques couplets de sa composition4.
Vallotton, prince du noir et blanc |
Cela dit, depuis les années 1880, Henri de Sta (1846-1920), s’était déjà fait une spécialité
de ces silhouettes en noir qu’il traitait sur le mode rigoureusement humoristique.
Avec Vanier, son ami, son éditeur, son co-auteur, ils vont concocter quelques-unes
des plaquettes les plus réussies de la «collection Vanier», dont cette Vie à cheval que nous feuilletons
présentement.
15 silhouettes s’y succèdent. Chacune d'elle est surmontée de deux
petits médaillons qui à gauche et à droite présentent respectivement le cavalier et le cheval, mis en situation dans l’illustration
principale.
2 médaillons, 1 lardon |
pas peu fier avec son écuyère |
Delton et Sta inventent la centauresse moderne |
L'activité équestre
parisienne est particulièrement présente dans cette galerie de portraits équestres. L’amazone ressemble comme deux gouttes d’eau à
celle que Delton photographie pour son Tour
du Bois qui parait un an avant la plaquette potache. Le cheval de la jeune
femme photographié se cabre tandis que la silhouette dessinée trotte à vive
allure. L’impression tonique qui se dégage des deux compositions est accentuée
par le parti pris de montrer les deux amazones côté selle découverte, telles
deux centauresses des temps modernes.
Toujours selon
Vanier, le «sportsman consommé», tapis de selle à carreaux, pantalon rayé, est prêt
à faire le tour du lac, au trot en suspension. Une fois encore, nous nous
retrouvons à Paris, à proximité de l’allée des acacias immortalisée par Sem.
Pour ce qui est des
mœurs cavalières de la campagne, Sta et Vanier ont pris le parti de camper les
grandes figures tutélaires rurales. Le médecin de campagne, le maquignon
filochard sont croqués à l’instar du veneur qui présente un faux air du marquis
de Chambray, maître cynégétique s’il en est !
figure tutélaire |
cavaliers sachant fumer |
Si Vanier caressait secrètement
l'idée de toucher à la gloire en ayant eu le cran d’éditer Verlaine et ses potes
décadents, il ne pensait surement pas donner un témoignage de première bourre en
s’amusant avec Henri de Sta. Pourtant, cet album à un franc représente une
source fiable, un reportage de terrain, le polaroïd d’un monde vivace et moribond
à la fois.
Plus certainement Vanier
ne voyait dans l’élaboration de ces petites pochades, qu’une manière de se
soulager du poids des responsabilités d’éditeur anti-Lemerre qu’il était et une
façon de dédramatiser les brouilles à répétition auxquelles lui et Verlaine étaient sujets. Au contraire, Verlaine y voyait, lui, pas moins que de « délicieux bouquins », légendés
pour certains par un éditeur « qui [maniait] la plume très allégrement, ma
foi, et [avait] écrit la plupart des légendes des amusantes plaquettes
illustrées par H. de Sta ». Toujours d’après le poète, dans son magasin du
quai Saint-Michel où se donnaient rendez-vous Fénéon, Huysmans, Verlaine, Moréas,
Hérédia, Mallarmé et les autres, «Vanier circulait, accueillait, priait d’excuser,
opinait, tançait un commis, vendait, feuilletait des manuscrits, lorgnait une
gravure : très pittoresque et vivant le patron»6. Je vous avouerais
que, si là, tout de suite, on m’offrait un aller et retour en 1885, je me transporterai sans
hésiter d’abord dans cette arrière-boutique, puis seulement après, longtemps
après, j’irai à pied, le nez au vent, les mains au fond des poches, commander une
absinthe, son sucre et sa cuillère au patron de l’illustre Chat noir. © texte et photos villa browna sauf mention contraire | Valentine del Moral
bibliographie:
1: Alves, Audrey. Pourchet, Maria. Les médiations de l'écrivain: Les conditions de la création littéraire. L'Harmattan, 2011. 2: Delahaye, Ernest. Verlaine: étude biographique. Slatkine, 1919. 3 : Alves, Audrey. Pourchet, Maria. Les médiations de l'écrivain: Les conditions de la création littéraire. L'Harmattan, 2011. 4 : Didier, Bénédicte. Petites revues et esprit bohème à la fin du XIXe (1878-1889): Panurge, Le Chat noir, La Vogue, Le Décadent, La Plume. L’Harmattan 2009. 5 : Vallotton, Flammarion, 199". 6: Les hommes d’aujourd’hui dans les Oeuvres complètes de Paul Verlaine. Vanier. 1902-1905.
LES LIVRES QUI NOUS ONT PERMIS D’ÉCRIRE CETTE LORGNETTE sont actuellement en vente à la librairie:
Delton. Le Tour du Bois. Photogravures. J. Delton. Photographie Hippique.
bibliographie:
1: Alves, Audrey. Pourchet, Maria. Les médiations de l'écrivain: Les conditions de la création littéraire. L'Harmattan, 2011. 2: Delahaye, Ernest. Verlaine: étude biographique. Slatkine, 1919. 3 : Alves, Audrey. Pourchet, Maria. Les médiations de l'écrivain: Les conditions de la création littéraire. L'Harmattan, 2011. 4 : Didier, Bénédicte. Petites revues et esprit bohème à la fin du XIXe (1878-1889): Panurge, Le Chat noir, La Vogue, Le Décadent, La Plume. L’Harmattan 2009. 5 : Vallotton, Flammarion, 199". 6: Les hommes d’aujourd’hui dans les Oeuvres complètes de Paul Verlaine. Vanier. 1902-1905.
LES LIVRES QUI NOUS ONT PERMIS D’ÉCRIRE CETTE LORGNETTE sont actuellement en vente à la librairie:
Léon Vanier. La Vie à Cheval.
Illustrations de H. de Sta.
Libraire-éditeur, 1885. 15
feuillets.
In-8 carré, broché, couverture illustrée.
Henri de Sta, nom de plume d’Henry de Saint-Alary, (1846-1920) donne ici un raccourci saisissant de la vie du cheval et de son cavalier au XIXème s. Inspirés des ombres chinoises, ses dessins laissent malgré tout apparaitre les détails intérieurs aux silhouettes. Chaque caricature est flanquée en haut, de part et d’autre, des portraits en médaillon du cavalier et de sa monture. Le texte plein d’humour est du à Léon Vanier, qui n’est rien moins que… l’éditeur de Verlaine. en savoir plus ou commander l'exemplaire
In-8 carré, broché, couverture illustrée.
Henri de Sta, nom de plume d’Henry de Saint-Alary, (1846-1920) donne ici un raccourci saisissant de la vie du cheval et de son cavalier au XIXème s. Inspirés des ombres chinoises, ses dessins laissent malgré tout apparaitre les détails intérieurs aux silhouettes. Chaque caricature est flanquée en haut, de part et d’autre, des portraits en médaillon du cavalier et de sa monture. Le texte plein d’humour est du à Léon Vanier, qui n’est rien moins que… l’éditeur de Verlaine. en savoir plus ou commander l'exemplaire
Delton. Le Tour du Bois. Photogravures. J. Delton. Photographie Hippique.
Paris, 1884. [2] pp., 25 planches hors texte de
photographies, [4] pp.
Grand in-8 oblong, bradel éditeur. Dos
et couvertures ornés d'encadrements et de fleurons.
Préface de Jules Paton qui rend hommage à la réduction du
temps de pose obtenu par Delton et qui prophétise qu’«un jour viendra, [on ne
doit pas] en douter, où les collectionneurs, […] achèteront à prix d’or ce Tour
du Bois, croqué sur nature, dans ce moment aristocratique de la promenade à
cheval». 25 planches présentent chacune, une photogravure mesurant plus ou
moins, 10,5X9,5 cm. En fin de volume, se trouve l’index des personnalités
apparaissant sur les clichés de ce recueil « représentant [selon Mennessier de
la Lance], toutes les célébrités hippiques d’alors, prises au passage ». Citons
les Ganay en famille, la duchesse d’Uzès souriante, le maréchal de Mac Mahon...
On ne peut s’empêcher de penser à Sem arpentant les mêmes allées à la même
époque alors qu’il pensait à croquer ses silhouettes pour sa série des Acacias.
Mennessier, I, 381. en savoir plus ou commander l'exemplaire