lundi 28 mai 2012

Le Miraut de Pergaud est un cabot qui a du chien

JUSTE QUELQUES LIGNES POUR CEUX QUI SONT PRESSÉS. (C’est dommage : dans la suite du texte les chiens Miraut et Dingo mènent leurs lecteurs par le bout du nez).
Pergaud par son ami Rocher

Rien n’est plus vivant qu’un auteur mort ressuscité par la plume d’un ami «poète et dessinateur». J’en prends pour preuve le portrait qu’Edmond Rocher, collaborateur de la Revue blanche et grand manitou de l'école Estienne, brossa en 1923 de Louis Pergaud aux « yeux noirs, mobiles et malicieux, [qui] luisaient gaîment, pour peu que l'atmosphère lui semblât sympathique ; au grand rire bon enfant ; et dont la grande mèche de cheveux noirs, où déjà il neigeait se secouait en causant ». Rien n’est plus vivant… sauf peut-être un livre de l’écrivain lui-même avec un envoi de sa main et truffé d’une lettre annonçant la naissance d’un roman aussi incontournable que La guerre des boutons. Or, c’est un de ces rares exemplaires qui sert aujourd’hui de tremplin à l’évocation de Louis Pergaud tué en 1915 arrêté par les barbelés et les balles allemandes le 7 avril, à moins que ce ne fut le lendemain par un tir de barrage français qui écrabouilla l’hôpital allemand de Fresnes-en-Woëvre, où il avait été transféré.

QUELQUES LIGNES SUPPLÉMENTAIRES POUR CEUX QUI N’ONT PAS NON PLUS LE TEMPS (mais qui le prennent).

Fidèle en amitié, qui le rendait loquace et joyeux, Louis Pergaud l’était aussi à sa campagne comtoise qui lui collait au corps, même après plusieurs mois de frottement au bitume parisien. Lucien Descaves qui l’avait surnommé « Pergaud-le-rustique » avait raconté que « quand il arrivait chez [lui], le dimanche, [il avait] l’impression que l’on ouvrait la fenêtre… l’air entrait avec lui ». Écrivant à son ami Charles Callet, Pergaud revendiquait ce parfum de sous-bois, confessant adorer les livres, bien qu’il fasse « bon quelquefois, loin d’eux, se laisser tout doucement redevenir une brute harmonieuse ». Pas étonnant alors que la nature et les naturels – animaux et enfants – aient peuplé ses histoires à l’instar de ce Roman de Miraut – chien de chasse, dont l’exemplaire que nous présentons contient, entre autres,  un envoi à Charles Grandmougin (1850 – 1830), le poète de la Franche Comté. Dans une critique de 1922 d’un de ses recueils, Grandmougin est décrit comme « un sympathique. La sympathie qu'il inspire est méritée [et enrichie de]qualités fortes et agréables qui ont déjà fait la réputation du poète. Il a l'énergie et la douceur, l'élan et le sourire, l'amour profond des beaux paysages et le regard amusé qui se pose sur un joli tableautin ». Comment s’étonner alors que son cadet lui ait fait parvenir son roman en guise d’hommage? Leurs qualités sont voisines, même s’il y a chez Pergaud une âpreté absente chez son ainé et que son ami Rocher avait su fixer : « Nous avons tous connu — nous, ses
"Lisée", Pergaud, Cybèle, Miraut
amis — un autre Pergaud, avec sa physionomie d'auteur en représentation, timide, farouche, réservé et méfiant devant l'inconnu, et, devant une injustice, se murant de silence, le regard durci d'une flamme et la mâchoire serrée, comme prête à mordre ».  On croirait presque lire le portrait d’un chien. Mais alors, ce ne serait pas de Miraut qu’il s’agirait, héros du livre qui nous occupe. Chien des bois attaché à son maitre mais effroyablement jalousé par la femme de ce dernier, Miraut sait nous émouvoir, nous arracher une larme, nous agacer parfois, nous pousser à la révolte face aux outrances et aux bassesses humaines. Une photo prise en 1906, nous montre Pergaud partant chasser avec papa Duboz et Charles Boiteux qui inspirera Lisée, le héros du roman publié en 1913. Le plus étonnant c’est que les noms des chiens qui figurent sur ce cliché, sont parvenus jusqu’à nous : il y a Cybèle à qui Pergaud rend discrètement hommage et puis il y a Miraut qui vraisemblablement prêta à son alter ego romanesque « l’os du crane pointu signe de race » et « une belle robe aussi ma foi ! blanc et feu avec les taches brunes sur les flancs, c’est rare ».
Les êtres humains sont bel et bien les protagonistes secondaires de cette saga canine et si Pergaud la dédia à Paul Léautaud, ce n’est ni par hasard ni parce qu’ils fréquentaient tous les eux le Mercure de France, l’un en tant qu’auteur, l’autre en tant que secrétaire des éditions. Pour qu’il n’y ait pas d’équivoque, la dédicace avait d’ailleurs été clairement rédigée : « Je dédie ce livre à ceux qui aiment les chiens et particulièrement à mon excellent ami Paul Léautaud, romancier rarissime, chroniqueur savoureux, providence des chats perdus, des chiens errants, et des geais borgnes ».
Il reste que Miraut le simple, le cabot de nos campagnes, avait bien failli se faire ravir l’existence par un autre clebs, imaginé par Octave Mirbeau, un étranger celui-là, arrivé en caisse d’Australie et en feuilleton dans Le Journal alors que Pergaud mettait la touche finale à son roman. « Ce fut chez lui une stupeur qui dura quelques jours. Le pauvre n’en dormit plus, s’enfiévrant à l’idée qu’on put l’accuser d’avoir suivi le maître. […] Après la lecture de quelques feuilletons, Pergaud respira. C’était tellement autre chose, que le retentissement de Dingo ne pouvait en rien diminuer le succès de Miraut, qui, en bon chien campagnard, suivit son petit bonhomme de chemin ». Qu’Edmond Rocher soit célébré pour ce souvenir qui nous attache un peu plus le probe Pergaud.

"une certaine saveur locale et gauloise"
Que soit aussi remercié Charles Grandmougin pour avoir ajouté à son exemplaire une lettre datée du 19 avril 1912 que lui adressait en qualité de «  maître et compatriote »  le jeune auteur franc comtois. Dans celle-ci, on peut lire un petit paragraphe qui nous révèle les fières espérances de Pergaud qui écrit avoir « presque achevé un roman franc comtois, roman de petits campagnards qui ne manquera pas je crois d’une certaine saveur locale et gauloise ». Tu parles Charles ! C’est de La guerre des boutons qu’il s’agit, qui continue aujourd’hui à nous réjouir tandis que la guerre des couillons qui fit taire le père de Lebrac et du petit Gibus continuera longtemps à nous effarer. La lettre, écrite à l’encre violette, est signée «Louis Pergaud – 3, rue Marguerin». C’est dans le 14ème arrondissement de Paris. L’immeuble existe toujours. Une plaque rappelle le miracle littéraire qui eut lieu derrière ses murs : « Louis Pergaud, 1882-1915, prix Goncourt 1910, mort pour la France, a écrit dans cette maison La Guerre des boutons. Ses amis — avril 1987. » Ses amis… Il est frappant de constater le nombre de ceux qui témoignèrent de leur amitié dans les années qui suivirent sa mort, il est émouvant de voir qu’en 1987 ils avaient su faire des émules ;  il est tentant de rejoindre aujourd’hui la cohorte aimable des aminches du rustique loustic. © texte et photos villa browna // Valentine del Moral

LE LIVRE QUI NOUS A PERMIS D’ÉCRIRE CETTE LORGNETTE est actuellement en vente à la librairie:

Louis Pergaud. Le roman de Miraut, chien de chasse.
Paris, Mercure de France, 1913.
In-12 broché, sous chemise et emboitage postérieurs. 424, [4] pp.
Edition originale numéroté. Exemplaire du service de presse poinçonné des lettre M[ercure de] F[rance]. Un envoi de Pergaud à Charles Grandmougin et une lettre au même évoquant la genèse de La guerre des boutons.
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